Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/192

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crustacés. Nous les surveillions, vigilants. Rien autre en lui ne remuait. Il semblait se refuser à bouger, comme s’il se méfiait de son propre aplomb. Le moindre geste devait lui révéler (il n’en pouvait être différemment) sa débilité physique et lui causer un choc d’angoisse mentale. Il économisait ses mouvements. Étendu tout du long, le menton sur sa couverture, en une sorte d’immobilité matoise et circonspecte, il gisait. Ses yeux seuls erraient sur les visages, ses yeux dédaigneux, aigus et tristes.

Ce fut à cette époque que le dévouement de Belfast, non moins que sa pugnacité, méritèrent tous les suffrages. Il passait chaque instant de loisir dans la cabine de Jimmy. Il le soignait, l’entretenait ; doux comme une femme, avec la gaieté tendre d’un vieux philanthrope et une sensiblerie attentive vis-à-vis de son nègre, à rendre jaloux un maquignon d’esclaves accompli. Mais, hors de là, il se montrait irritable, sujet à des explosions d’humeur, sombre, soupçonneux et plus brutal toujours en proportion de son chagrin. Avec lui larmes et coups de poing allaient de conserve : une larme pour Jimmy, un coup de poing pour quiconque semblait s’écarter d’une scrupuleuse orthodoxie dans sa manière d’envisager le cas de Jimmy. Nous ne parlions que de cela. Les deux Scandinaves, eux-mêmes, discutaient la situation, mais en quel esprit, nous l’ignorions, car ils se querellaient dans leur langue. Belfast en soupçonnait un d’irrévérence, et, dans cette incertitude, ne se croyait pas le droit d’hésiter à provoquer les deux. Ils prirent grand-peur de sa truculence et dorénavant vécurent parmi nous, hébétés comme un couple de muets. Wamibo ne parlait jamais intelligiblement, mais il ne souriait pas plus qu’une bête et semblait moins au courant de l’affaire que le chat du bord, en conséquence il était sauf. De plus, ayant fait partie de