Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/214

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à ses pieds. Les hommes écoutaient, dispersés par groupes, appuyés sur la lisse de rabattue et regardant le pont, le menton dans les mains avec des physionomies pensives, ou les bras croisés, un genou légèrement plié, le front baissé, le corps droit, en l’attitude de la méditation. Wamibo rêvait. M. Baker continuait, grognant révérencieusement à chaque page tournée. Les paroles du texte saint par-delà les cœurs inconstants des hommes s’en allaient errantes, sans asile, sur le désert des flots sans pitié ; et James Wait, critique éloquent naguère et qui ne parlerait plus, gisait passif sous leur murmure enroué de terreur et d’espérances.

Deux hommes se tenaient prêts dans l’attente de ces mots-là qui envoient tant de nos frères à leur dernière embardée. M. Baker commença le passage. « Attention », fit le maître d’équipage entre ses dents. M. Baker lut : « Aux profondeurs », et fit une pause. Les hommes soulevèrent l’extrémité des planches voisine du pont, le maître d’équipage, d’un tour de main, retira l’Union Jack, mais James Wait ne bougea point. « Plus haut », gronda le maître d’équipage en colère. Toutes les têtes s’étaient relevées, un malaise général crispait tout le monde sur place, mais James Wait ne faisait pas mine de s’en aller. Mort et, sous le linceul qui l’enveloppait à jamais, il paraissait encore s’attacher au navire d’une étreinte d’effroi survivant à lui-même.

— Plus haut. Lève ! siffla la voix rageuse du maître d’équipage.

— Il ne veut pas, bégaya un des deux hommes qui tremblait, et tous deux parurent sur le point de tout lâcher. M. Baker attendait, le visage enseveli dans le livre et changeant ses pieds de place d’un traînement énervé. Tous les hommes avaient l’air profondément