Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/217

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— En escadre, en Chine, je me rappelle une fois l’amiral qui me dit comme ça, commença le voilier…

Une semaine plus tard, le Narcisse fendait les eaux de la Manche.

Sous ses ailes blanches, il rasait la mer bleue comme un grand oiseau las qui se hâte vers son nid. Les nuages faisaient la course avec les pommes de ses mâts ; on voyait leurs masses blanches se lever par l’arrière, gagner le zénith d’un essor, continuer leur fuite et filant le long de l’ample courbe du ciel, se ruer tête première dans les flots, nuages plus rapides que le navire, plus libres aussi mais que nul port n’attend. La côte, pour lui souhaiter la bienvenue, vint au-devant de lui dans le soleil. Les hautes falaises poussaient dans la mer leurs promontoires souverains ; les larges baies souriaient de lumière ; les ombres des nuages sans asile ni but couraient le long des plaines ensoleillées, sautant les vallées, grimpant agiles aux collines, dégringolant les versants, et le soleil les poursuivait de nappes de glissante lueur. Sur le front des rochers sombres des phares blancs étincelaient dans des colonnes de lumière. La Manche scintillait comme un manteau bleu tissé de fils d’or et qu’étoilait l’argent des lames moutonnantes. Le Narcisse vola, passés les caps et les baies. Des navires en partance croisaient sa route, donnant de la bande, les mâts dénudés pour la lutte harassante avec l’âpre suroît. Et près de terre un chapelet de petits vapeurs enfumés barbotaient, serrant la côte, comme une migration de monstres amphibies méfiants des vagues turbulentes.

Dans la nuit les hautes terres reculèrent, tandis que les baies s’avançant formaient un mur de ténèbres. Les lumières de terre se mêlèrent à celles du ciel ; et, dominant