Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/42

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compacte. Il dépassait le plus grand d’une demi-tête. Il dit :

— Je suis du navire.

Il prononçait clairement, avec une précision douce. Les accents profonds et réverbérés de sa voix emplissaient le pont sans effort. Il était naturellement dédaigneux, condescendant, sans pose, en homme qui, du haut de ses six pieds trois pouces, avait mesuré l’immensité de l’humaine folie et pris le parti de lui être indulgent. Il continua :

— Le capitaine m’a embarqué ce matin. Je n’ai pas pu venir à bord plus tôt. J’ai vu tout le monde derrière comme je montais l’échelle et j’ai compris tout de suite qu’on faisait l’appel. J’ai dit mon nom, naturellement. Je pensais que vous l’aviez sur la liste et que vous comprendriez. Vous vous êtes mépris.

Il s’arrêta court. La démence de ces hommes qui l’entouraient était confondue. Il avait raison, comme toujours, et, comme toujours, restait prêt à pardonner l’offense. L’expression de son mépris avait cessé et, soufflant, il demeurait immobile parmi tous ces hommes blancs. Il levait haut la tête dans la lueur du fanal, une tête vigoureusement modelée en méplats d’ombre et lumineux reliefs, une tête puissante et difforme, au visage camard et tourmenté, pathétique et brutal : le masque tragique, mystérieux et répulsif de l’âme nègre.

M. Baker recouvra son sang-froid, interrogea le papier de tout près :

— Ah ! oui. Parfaitement. C’est bon, Wait. Portez votre sac sur l’avant.

Soudain, les yeux du noir roulèrent comme affolés, chavirèrent, devinrent tout blancs. Il porta la main à son flanc et toussa deux fois, d’une toux métallique, creuse