Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/61

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donnaient des claques sur les cuisses, tandis qu’un ou deux, pliés, suffoquaient, se tenant à bras-le-corps comme en un accès de souffrance. Le charpentier et le maître conservaient la même attitude, secoués sur place d’un rire énorme ; le maître voilier gros d’une anecdote au sujet d’un commodore avançait une lippe boudeuse ; le coq s’essuyait les yeux avec un chiffon gras ; et la surprise de son propre succès élargissait un lent sourire sur la physionomie du boiteux debout au milieu d’eux.

Tout à coup, la figure de Donkin accoudé sur le garde-corps devint grave, entre ses épaules remontées. Une crécelle rauque s’étouffait derrière la porte du gaillard. Cela devint un murmure et finit en un soupir gémissant. Le laveur replongea brusquement ses deux bras dans la baille ; le coq apparut soudain plus défrisé qu’un aigrefin démasqué, le maître haussa les épaules avec gêne ; le charpentier se leva d’un saut et s’en fut, tandis que le maître voilier sembla dans son for intérieur sacrifier son histoire et se mit à tirer sur sa pipe avec une sombre détermination. Dans la noirceur de l’entrebâillement une paire d’yeux luisirent blancs, larges et s’écarquillant. Puis la tête de James Wait apparut en saillie comme suspendue entre les deux mains qui s’agrippaient au chambranle de part et d’autre du visage. Le pompon de son bonnet de laine bleu, tombant en avant, dansait gaiement sur son sourcil gauche. Il sortit d’un pas incertain. Vigoureux d’aspect comme avant, il montrait dans sa démarche un manque d’assurance bizarre et affecté ; le masque semblait un peu maigri et les yeux étonnaient d’abord par leur proéminence. On eût dit qu’il hâtait par sa seule présence la retraite de la lumière déclinante ; le soleil couchant plongea subitement comme s’il fuyait devant notre nègre : une sombre influence émanait de sa personne, un je ne