Page:Le Negre du Narcisse, trad. d Humieres, Gallimard 1913.djvu/90

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fouettait de crachats ; stoïque, elle ruisselait comme s’il eût pleuré.

Du côté du vent de la dunette, le quart cramponné aux haubans d’artimon et les uns aux autres tentaient d’échanger des mots d’encouragement. Singleton de la barre héla à pleine voix :

— Attention, vous autres !

Sa voix leur parvint réduite à un murmure avertisseur. Ils tressaillirent.

Une énorme lame écumante sortait de la brume ; elle venait sur nous, rugissant avec sauvagerie, aussi redoutable et démoralisante, en l’élan dont elle se ruait, qu’un fou avec une hache. Un ou deux matelots en criant se jetèrent dans le gréement ; la plupart avec une aspiration convulsive tinrent bon à leur poste. Singleton enfonça ses genoux sous la roue et mollit soigneusement la barre pour soulager le navire qui tanguait à pic, mais sans ôter ses yeux de la vague qui arrivait. Vertigineuse, à toucher, elle se dressa comme un mur de cristal vert crêté de neige. Le navire s’enleva comme à tire d’ailes et un moment resta posé sur la cime écumante, pareil à un grand oiseau des mers. Avant que nous ayons pu reprendre haleine, une lourde rafale le frappa, un autre brisant le prit traîtreusement en dessous par l’avant, il se coucha d’un coup, l’eau envahit le pont. D’un bond le capitaine Allistoun se mit debout, puis tomba ; Archie roula par-dessus en criant : « Il se relève ! » Un second coup de roulis abattit davantage le navire sous le vent, les pieds des hommes se dérobèrent sous eux, tandis qu’ils restaient suspendus et ruant au-dessus de la dunette inclinée. Ils purent voir le bateau tremper son flanc dans la mer et clamèrent tous ensemble : « Nous sombrons ! » À l’avant, les portes du gaillard s’ouvrirent violemment et les