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mousseline

aurait fallu manger à la journée du lait caillé. Par exception, une des bouteilles daignait, par-ci, par-là, se conserver jusqu’au soir. Mais ordinairement le breuvage avait toujours un « petit goût ».

Tous nos enfants protestaient ; les ménagères se plaignaient de ne pouvoir faire aucun dessert, et les grands buveurs de lait étaient bien malheureux. C’était plus que lamentable, vraiment, c’était intenable ! Et cela durait depuis des années.

Notre amie Marie qui avait charge d’une grosse maisonnée, pouvait se croire la plus à plaindre. Elle se mit à parler d’acheter une vache pour l’été et de la prêter l’hiver à quelque fermier des environs. C’était une chose faisable. Une autre saison passa sur ce projet quand notre vieux laitier mourut. Ses fils négligèrent l’entreprise, et la situation lamentable devint insupportable. Certains matins, la haridelle ne venait même plus…

L’hiver suivant, comme nous ressassions ensemble le trésor inépuisable de nos joies gaspésiennes, Marie dit :

— Mais l’été prochain, c’est le bout, j’achète une vache. Je suis décidée. Je verrai à ça en mai, quand j’irai pour le jardin.

Elle partit le trente avril pour un voyage de trois jours à la mer. Elle revint enthousiasmée. Il faisait déjà beau là-bas. L’eau avait un peu plus rongé le banc de sable, mais elle n’avait emporté aucune de nos maisons. Elles étaient toutes là, attristées par leurs yeux clos, et elles nous attendaient au plus vite. Marie avait donné