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bouche amère

demander, mais un tout jeune commis s’enquérait déjà de ce qu’elle désirait.

— Un instant, madame, monsieur Valin va vous répondre.

M. Valin, en arrière de son gros pupitre encombré de paperasses, lui tournait le dos, répondant au téléphone, encanté dans sa chaise, et les pieds sur la fenêtre. De dos, ce n’était qu’un gros monsieur chauve, dont le faux col froissé ne lui inspira pas confiance. Elle eut encore envie de s’en aller. Mais non, puisqu’elle y était, elle resterait. Elle ouvrit son sac, sortit les papiers qu’elle voulait faire examiner. Elle les étendait sur le bord de la table, lorsque M. Valin raccrocha le récepteur, reprit une pose convenable, tourna vers elle sa chaise et dit :

— Pour vous, madame ?

Sa voix au moins était éduquée et il avait un bon accent. Elle leva les yeux. Sa barbe était trop longue. C’est tout ce qu’elle vit et elle commença d’expliquer son affaire. Comme il lui répondait, sa voix de nouveau sonna particulièrement à son oreille, elle releva ses yeux encore baissés vers les paperasses.

Et alors, ils se reconnurent. M. Valin, c’était Bouche amère ! Elle l’avait tellement oublié que même son nom ne lui avait rien rappelé. Les yeux restés les mêmes, avec moins d’éclat, dans la face bouffie et mal entretenue de l’homme frisant la cinquantaine, la dépassant même, firent tout à coup surgir dans sa mémoire, comme derrière un écran translucide mais déjà décoré d’une image, la figure d’autrefois, la belle figure aux