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jane

En vérité, déjà cela se devine, Jane était un peu stupide. Une femme plus futée aurait pu s’enorgueillir de cette épaisse frange de cils, de sa ligne de tête délicate et fine, de ses cheveux châtains, mousseux et ondulés, et de sa taille assez gracieuse et assez ronde à la fois.

Mais Jane était à cent lieues de pareilles idées. Jane, d’ailleurs, n’avait pas du tout d’idées, elle n’avait que du cœur. Dans certaines circonstances, cela suffisait ; pas toujours, hélas ! et bien souvent c’était désastreux. Et son pauvre cœur devait alors traverser de pénibles bourrasques.

Car Jane, petite cervelle d’oiseau, Jane était en service, et Jane aurait dû savoir quantité de choses que des années et des années de routine ne lui avaient pas encore apprises.

Pourtant, de quelles patientes et douces leçons elle avait bénéficié ! Sa maîtresse était compatissante, pitoyable, miséricordieuse. Elle expliqua, inlassablement, la manière d’exécuter des travaux que Jane ne réussit jamais convenablement. Jane promettait tous les jours de se souvenir de ce qu’elle oubliait invariablement cinq minutes plus tard, comme par exprès. Jane cassait de la vaisselle et elle lavait mal celle qu’elle ne cassait pas. Jane renversait du lait, de la soupe, Jane faisait brûler les pommes de terre ; Jane en somme excellait à rebours dans toutes les tâches ménagères, barbouillant les planchers, soulevant la poussière au lieu de l’enlever, salissant le linge qu’elle devait blanchir, jaunissant celui qu’elle repassait. Rien n’était à son épreuve.