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Page:Le Normand - La Maison aux phlox, 1941.djvu/19

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AUX PHLOX
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cessé de jouer du piano, et n’a personne à qui l’enseigner, et trouve inutile de garder plus longtemps un meuble sans usage.

Un meuble sans usage. Elle le regarde. Elle le regarde et l’aime soudain beaucoup parce qu’il s’en va. Elle savait bien qu’il était beau, qu’il avait de la ligne, que les sculptures qui l’ornaient étaient délicates et parfaites, que le temps n’avait fait qu’embellir la couleur chaude de son beau noyer sans éraflures. Elle savait tout cela mais n’y pensait jamais. Et voilà qu’elle y pense, et qu’en plus elle constate à quel point il est à sa place, dans ce coin, bien appuyé au mur vert. Il n’embarrasse véritablement pas. Si seulement il servait, elle l’aurait gardé.

Mais toujours il reste muet. La dernière fois qu’elle l’a ouvert, c’est qu’elle avait failli le vendre. Poussée par la crainte de le voir partir, elle avait pris ses cahiers de Beethoven, de Bach, de Mozart et tenté de jouer de nouveau les choses qu’elle savait autrefois.

Hélas ! ses doigts ne couraient plus très vite.

Des parties plus faciles lui revenaient à la mémoire, mais quand il lui fallait déchiffrer, si une note était trop au-dessus, ou trop en-dessous de la portée, elle butait. Elle devait compter comme une commençante : première, deuxième, troisième, quatrième ligne au-dessus de la portée ; premier espace, deuxième, troisième,