Page:Le Parnasse contemporain, II.djvu/253

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Par instants, dans l’abîme on le croit englouti ;
Mais de l’âcre vallon péniblement sorti,
Bientôt il reparaît à la crête des lames,
Ouvrant & refermant l’éventail de ses rames.

Auprès du gouvernail, morne, silencieux,
Dans sa cape embossé, le chapeau sur les yeux,
Un jeune homme est assis. Comme un peuple en tumulte
Autour d’un Dieu, les flots lui crachent leur insulte ;
Le vent de son manteau fait palpiter les plis ;
L’esquif tremble & se plaint sous les coups du roulis ;
Il rêve, &, tout entier à ses noires chimères,
Penche son front qui luit sous les perles amères.

L’on approche du bord, déjà les avirons
Battent l’eau qui les fuit sur des rhythmes moins prompts ;
De sa quille d’airain rayant le sable humide,
L’esquif s’est arrêté d’un bond leste & rapide ;
L’étranger saute à terre, &, faisant quelques pas,
Gagne une place sèche où la mer n’atteint pas,
Puis, d’un geste royal, jette aux marins sa bourse.
Remis à flot, l’esquif, comme un cheval de course
Secouant l’écuyer à son mors suspendu,
Part. — L’étranger, debout sur son rocher ardu,
Avant d’aller plus loin se retourne & regarde.

Quoiqu’il soit nuit, la mer d’une lueur blafarde
Rayonne & l’on peut voir les rameurs sur leur banc
Pour tirer l’aviron en arrière tombant.