Page:Le Parnasse contemporain, II.djvu/377

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Ce jour même, après vêpre, en tête du clergé,
L’évêque ayant béni l’armée avec la flotte,
Don Bartolomé Ruiz, comme royal pilote,
En pompeux apparat, tout vêtu de brocart,
Le porte-voix au poing, montant au banc de quart,
Commanda de rentrer l’ancre en la Capitane
Et de mettre la barre au vent de Tramontane.
Alors, parmi les pleurs, les cris & les adieux,
Les soldats inquiets & les marins joyeux,
Debout sur les haubans ou montés sur les vergues
D’où flottait un pavois de drapeaux & d’exergues,
Quand le coup de canon de partance roula,
Entonnèrent en chœur l’Ave maris stella ;
Et les vaisseaux, penchant leurs mâts aux mille flammes,
Plongèrent à la fois dans l’écume des lames.

La mer étant fort belle & le nord des plus frais,
Leur voyage fut prompt, & sans souffrir d’arrêts
Ou pour cause d’aiguade ou pour raison d’escale,
Courant allégrement par la mer tropicale,
Pizarre saluait avec un mâle orgueil,
Comme d’anciens amis, chaque anse & chaque écueil.
Bientôt il vit, vainqueur des courants & des calmes,
Monter à l’horizon les verts bouquets de palmes
Qui signalent de loin le golfe ; & débarquant,
Aux portes de Tumbez il vint planter son camp.
Là, s’abouchant avec les Caciques des villes,
Il apprit que l’horreur des discordes civiles
Avait ensanglanté l’Empire du Soleil ;