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LE PARNASSE CONTEMPORAIN.

« Glaneuses, repassez dans ces riches sillons,
Dit-elle ; que d’épis ! — Voyez quelle richesse !
Ramassez ce trésor perdu que Dieu vous laissé ! »

Tel un sinistre vol d’oiseaux, du haut de l’air,
Las d’avoir traversé la tempête et la mer,
S’abat et dans un champ marche, traînant les ailes,
Telles pâles déjà de faim, ayant sur elles
Des haillons qui font voir leur maigre nudité,
Les glaneuses ici s’abattent chaque été.
Le soleil, à travers le chaume, de la terre
Qui se dessèche tire un miasme délétère.
Et le jour est sans voix. Peut-être seulement
Y peut-on distinguer un fin bruissement.
Est-ce le Rhône au loin ? la mer rongeant la grève ?
La ronde tour à tour qui s’abaisse et s’élève
Des moucherons virant dans l’espace vermeil,
Ou les vibrations des rayons du soleil,
Traits de feu frémissants qu’un arc terrible lance ?
C’est tout cela que laisse entendre le silence.
Et les pauvresses vont, pas à pas, front courbé,
Cassant l’épi debout, glanant l’épi tombé.
Leur sang même leur fait encor tinter l’ouïe,
Et la paupière tremble et s’abaisse éblouie
Sur l’œil douloureux, plein du feu torrentiel
Que reflète la terre et que verse le ciel.
Ô lumière du jour, bonté de la nature,
Tu trahis donc aussi parfois la créature !…
Les glaneuses pourtant d’un regard plus troublé