Page:Le Rouge et le Noir.djvu/138

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Rênal, il peut être savant, vous vous y connaissez, mais ce n’est au fond qu’un véritable paysan. Pour moi, je n’en ai jamais eu bonne idée depuis qu’il a refusé d’épouser Élisa ; c’était une fortune assurée, et cela sous prétexte que quelquefois, en secret, elle fait des visites à M. Valenod.

— Ah ! dit M. de Rênal, élevant le sourcil d’une façon démesurée, quoi, Julien vous a dit cela ?

— Non, pas précisément ; il m’a toujours parlé de la vocation qui l’appelle au saint ministère ; mais, croyez-moi, la première vocation pour ces petites gens, c’est d’avoir du pain. Il me faisait assez entendre qu’il n’ignorait pas ces visites secrètes.

— Et moi, moi, je les ignorais ! s’écria M. de Rênal reprenant toute sa fureur, et pesant sur les mots. Il se passe chez moi des choses que j’ignore… Comment ! il y a eu quelque chose entre Élisa et Valenod ?

— Hé ! c’est de l’histoire ancienne, mon cher ami, dit madame de Rênal en riant, et peut-être il ne s’est point passé de mal. C’était dans le temps que votre bon ami Valenod n’aurait pas été fâché que l’on pensât dans Verrières qu’il s’établissait entre lui et moi un petit amour tout platonique.

— J’ai eu cette idée une fois, s’écria M. de Rênal se frappant la tête avec fureur, et marchant de découvertes en découvertes, et vous ne m’en avez rien dit ?

— Fallait-il brouiller deux amis pour une petite bouffée de vanité de notre cher directeur ? Où est la femme de la société à laquelle il n’a pas adressé quelques lettres extrêmement spirituelles et même un peu galantes ?

— Il vous aurait écrit ?

— Il écrit beaucoup.

— Montrez-moi ces lettres, à l’instant, je l’ordonne ; et M. de Rênal se grandit de six pieds.

— Je m’en garderai bien, lui répondit-on avec une douceur qui allait presque jusqu’à la nonchalance, je vous les montrerai un jour quand vous serez plus sage.

— À l’instant même, morbleu ! s’écria M. de Rênal ivre de