Page:Le Rouge et le Noir.djvu/404

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Cette connaissance fera prononcer votre nom ; elle vous donnera du poids dans le monde. Mais allons chez Bustos, dit le comte Altamira, qui était un esprit d’ordre ; il a fait la cour à madame la maréchale.

Don Diego Bustos se fit longtemps expliquer l’affaire, sans rien dire, comme un avocat dans son cabinet. Il avait une grosse figure de moine avec des moustaches noires, et une gravité sans pareille ; du reste, bon carbonaro.

— Je comprends, dit-il enfin à Julien. La maréchale de Fervaques a-t-elle eu des amants, n’en a-t-elle pas eu ? Avez-vous ainsi quelque espoir de réussir ? voilà la question. C’est vous dire que, pour ma part, j’ai échoué. Maintenant que je ne suis plus piqué, je me fais ce raisonnement : souvent elle a de l’humeur, et, comme je vous le raconterai bientôt, elle n’est pas mal vindicative.

Je ne lui trouve pas ce tempérament bilieux qui est celui du génie, et jette sur toutes les actions comme un vernis de passion. C’est au contraire à la façon d’être flegmatique et tranquille des Hollandais qu’elle doit sa rare beauté et ses couleurs si fraîches.

Julien s’impatientait de la lenteur et du flegme inébranlable de l’Espagnol ; de temps en temps, malgré lui, quelques monosyllabes lui échappaient.

— Voulez-vous m’écouter ? lui dit gravement don Diego Bustos.

Pardonnez à la furia francese ; je suis tout oreille, dit Julien.

— La maréchale de Fervaques est donc fort adonnée à la haine ; elle poursuit impitoyablement des gens qu’elle n’a jamais vus, des avocats, de pauvres diables d’hommes de lettres qui ont fait des chansons comme Collé, vous savez ?

J’ai la marotte
D’aimer Marote, etc.

Et Julien dut essuyer la citation tout entière. L’Espagnol était bien aise de chanter en français.

Cette divine chanson ne fut jamais écoutée avec plus d’im-