Page:Le Rouge et le Noir.djvu/433

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nuyai… C’est le défaut de mon caractère, je me dénonce moi-même à vous, pardonnez-moi.

Des larmes amères inondaient les joues de Mathilde.

— Dès que par quelque nuance qui m’a choqué, j’ai un moment de rêverie forcée, continuait Julien, mon exécrable mémoire, que je maudis en ce moment, m’offre une ressource et j’en abuse.

— Je viens donc de tomber à mon insu dans quelque action qui vous aura déplu ? dit Mathilde avec une naïveté charmante.

— Un jour, je m’en souviens, passant près de ces chèvrefeuilles, vous avez cueilli une fleur, M. de Luz vous l’a prise, et vous la lui avez laissée. J’étais à deux pas.

— M. de Luz ? c’est impossible, reprit Mathilde, avec la hauteur qui lui était si naturelle : je n’ai point ces façons.

— J’en suis sûr, répliqua vivement Julien.

— Eh bien ! il est vrai, mon ami, dit Mathilde en baissant les yeux tristement. Elle savait positivement que depuis bien des mois elle n’avait pas permis une telle action à M. de Luz.

Julien la regarda avec une tendresse inexprimable : Non, se dit-il, elle ne m’aime pas moins.

Elle lui reprocha le soir, en riant, son goût pour madame de Fervaques : Un bourgeois aimer une parvenue ! Les cœurs de cette espèce sont peut-être les seuls que mon Julien ne puisse rendre fous. Elle avait fait de vous un vrai dandy, disait-elle en jouant avec ses cheveux.

Dans le temps qu’il se croyait méprisé de Mathilde, Julien était devenu l’un des hommes les mieux mis de Paris. Mais encore avait-il un avantage sur les gens de cette espèce ; une fois sa toilette arrangée, il n’y songeait plus.

Une chose piquait Mathilde, Julien continuait à copier les lettres russes, et à les envoyer à la maréchale.