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LXV

Un Orage.

Mon Dieu, donnez-moi la médiocrité.
Mirabeau.

Son âme était absorbée ; il ne répondait qu’à demi à la vive tendresse qu’elle lui témoignait. Il restait silencieux et sombre. Jamais il n’avait paru si grand, si adorable aux yeux de Mathilde. Elle redoutait quelque subtilité de son orgueil qui viendrait déranger toute la position.

Presque tous les matins, elle voyait l’abbé Pirard arriver à l’hôtel. Par lui, Julien ne pouvait-il pas avoir pénétré quelque chose des intentions de son père ? Le marquis lui-même, dans un moment de caprice, ne pouvait-il pas lui avoir écrit ? Après un aussi grand bonheur, comment expliquer l’air sévère de Julien ? Elle n’osa l’interroger.

Elle n’osa ! elle, Mathilde ! Il y eut dès ce moment dans son sentiment pour Julien, du vague, de l’imprévu, presque de la terreur. Cette âme sèche sentit de la passion tout ce qui en est possible dans un être élevé au milieu de cet excès de civilisation que Paris admire.

Le lendemain de grand matin, Julien était au presbytère de l’abbé Pirard. Des chevaux de poste arrivaient dans la cour avec une chaise délabrée, louée à la poste voisine.

— Un tel équipage n’est plus de saison, lui dit le sévère abbé, d’un air rechigné. Voici vingt mille francs dont M. de La Mole vous fait cadeau ; il vous engage à les dépenser dans l’année, mais en tâchant de vous donner le moins de ridicules possibles. (Dans une somme aussi forte, jetée à un jeune homme, le prêtre ne voyait qu’une occasion de pécher.)

Le marquis ajoute : M. Julien de La Vernaye aura reçu cet argent de son père, qu’il est inutile de désigner autrement. M. de La Vernaye jugera peut-être convenable de faire un cadeau à M. Sorel, charpentier à Verrières, qui soigna son en-