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DANTON

Le vice est comme l’Hydre. Chaque goutte de sang qui tombe fait naître de nouveaux monstres. Les meilleurs se laissent prendre, l’un après l’autre, à la contagion. Avant-hier, Philippeaux ; hier, Danton : aujourd’hui, Desmoulins… Desmoulins, mon ami d’enfance, mon frère !… Qui trahira demain ?

ÉLÉONORE.

Est-ce possible ? tant de trahisons ! Et vous en avez les preuves ?

ROBESPIERRE.

Oui, et plus que les preuves : la certitude morale, cette lumière infaillible qui ne me trompe jamais.

ÉLÉONORE.

Non, vous ne pouvez vous tromper : vous savez tout, vous voyez au fond des cœurs. Hélas ! sont-ils tous corrompus ?

ROBESPIERRE.

Il y a quatre ou cinq hommes que j’estime : l’honnête Couthon, insensible à ses souffrances, pour ne songer qu’à celles du monde ; l’aimable et modeste Le Bas ; mon frère, qui est généreux, mais aime trop le plaisir ; deux enfants et un moribond.

ÉLÉONORE.

Et Saint-Just ?

ROBESPIERRE.

Celui-là, je le crains. Saint-Just, glaive vivant de la Révolution, arme implacable, qui me sacrifierait comme les autres, à sa loi d’airain. — Tout le reste trahit. Gênés par ma clairvoyance, jaloux de l’amour du peuple, ils travaillent à me rendre odieux. Les proconsuls de Marseille et de Lyon couvrent leurs atrocités du nom de Robespierre. La contre-révolution prend tour à tour le visage de la clémence et celui de la terreur. Que la lassitude m’accable un instant, c’en est fait de moi, c’en est fait de la République. Couthon est malade. Le Bas et mon frère sont deux étourdis. Saint-