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Saint-Thégonnec tient son nom d’un évêque, dit-on, mais celui-ci n’a pas laissé d’autres traces dans l’histoire, bien qu’il figure en un petit bas-relief presque effacé au-dessus d’un portail, auprès d’un bœuf traînant des matériaux pour la construction de l’église. Celle-ci est datée du xviie siècle, surmontée d’une flèche à l’ouest et d’une tour au sud. L’intérêt de Saint-Thégonnec est dans l’architecture et les sculptures de son arc de triomphe, de son ossuaire, de son calvaire. On voit clairement que ce petit bourg a été un centre d’existence, que tout un monde s’est organisé là, attirant à lui des artistes, des artisans, des travailleurs de tous ordres, et qu’un grand effort s’est fait pour donner à une population le décor et le spectacle de ses désirs et de ses actes, pour tous les faits de son existence, depuis la naissance jusqu’à la mort. Le singulier résultat, c’est qu’à voir aujourd’hui les quelques maisons du bourg et tout ce pays paisible qui semble à certains moments déserté d’habitants, le passant peut croire que la vie est surtout réfugiée au cimetière, une vie pétrifiée par l’art qui atteste l’agitation d’hier dans la solitude et le silence d’aujourd’hui. Il faut les réunions du dimanche, un baptême, une noce, un enterrement, pour réanimer ce monde d’hier, ou bien l’effort de volonté qui crée l’illusion.

Le bourg est au sommet d’un coteau, au-dessus d’une fraîche vallée où la Penzé court sur un lit de cailloux, avec des allures de torrent. L’église est de la Renaissance, massive, avec une tour carrée surmontée d’un campanile. Sous le porche, les statues des douze Apôtres. À l’intérieur, une chaire, des boiseries sculptées, une profusion d’ornements, de statues, d’arabesques et de couleurs. À l’extérieur, j’ai vu, là aussi, autrefois, une ornementation bien différente, faite de têtes de morts enfermées dans des boîtes, mais visibles par une ouverture en cœur, et posées sur toutes les avancées de la pierre. Souvent la boîte manquait, les têtes de mort s’alignaient, couvertes de mousses, de lichens, vous regardant de leurs yeux vides, vous riant de leur bouche sans chair.

JEUNES GARÇONS DE SAINT-THÉGONNEC.

La porte par laquelle on pénètre dans le cimetière est un monument à trois arches, du style élégant de la Renaissance. À gauche, le calvaire, daté de 1619 réunit une centaine de personnages en pierre, les acteurs et les figurants de la Passion, les disciples, les femmes, les soldats, la populace ; au-dessus de ce grouillement, les gibets des larrons, et plus haute encore, la croix du Christ, à plusieurs bras chargés de personnages : la Vierge, saint Jean, les gardes, les anges. À gauche, une magnifique chapelle funéraire, ou ossuaire, à double colonnade, qui cache dans sa crypte un ensevelissement du Christ, en bois colorié, dont les personnages jouent le trompe-l’œil du tableau vivant.

SAINT-THÉGONNEC. LE CIMETIÈRE ET L’ÉGLISE.