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frottées à la pierre, opération renouvelée jusqu’au débarras complet des parties charnues et de la chaux absorbée. C’est alors seulement que dans les fosses à tan, au fond garni d’une couche d’écorces de chêne, les peaux sont étalées une à une et séparées par d’autres couches d’écorce. La fosse pleine, elle est recouverte d’une autre couche encore. Le tout foulé, humecté d’eau qui amollit l’écorce, lui retire son principe astringent pour le faire absorber par les peaux après deux ou trois mois ; quand la vertu de l’écorce est épuisée, on vide les fosses et l’on recommence l’opération deux fois encore. Ce n’est guère qu’au bout de cinq mois que les peaux, transformées en cuir, sont retirées, étendues sur le terrain où elles sont frottées, frappées, mises en tas, puis étalées de nouveau à l’air pour être rebattues et enfin livrées au commerce. Le tout prend une année et davantage, lorsqu’il s’agit de cuir très épais pour les semelles de chaussures, les traits de harnais, etc. C’est la curiosité de Lampaul et de Landivisiau, et c’est aussi leur parfum. Je ne vois à citer de Landivisiau, après les tanneries, que l’ossuaire supporté par des cariatides où se dresse un squelette armé de flèches.

Landerneau, où je m’arrête en quittant Landivisiau, est une des plus charmantes petites villes qui soient, telle qu’elle apparaît au premier coup d’œil, des deux côtés de sa rivière qui s’allonge en un pittoresque paysage de collines et de bois. Elle fut fondée en 669 par saint Ernec, fils de saint Judicaël, confesseur et roi, et devint siège de la vicomté de Léon érigée plus tard, comme je l’ai déjà dit, en principauté de Rohan. Malgré sa réputation de ville comique, Landerneau a été maintes fois envahie et pillée. Il importe peu, c’est la lune de Landerneau qui est célèbre, depuis l’exclamation du gentilhomme du pays admis à contempler le paysage de Versailles éclairé par la lune. « Celle de Landerneau est plus grande », dit-il. Il voulait parler, a-t-on expliqué, de l’astre en cuivre placé en girouette à la pointe du clocher de Saint-Houardon. « Il y aura du bruit dans Landerneau » est une locution qui a fait aussi son tour de France : elle s’appliquait au charivari organisé en l’honneur des veuves qui se remariaient. Et voilà. Tout cela n’empêche pas le charme de Landerneau et du quai de l’Élorn, le pittoresque du pont chargé de vieilles maisons dont l’arrière est supporté par des pilotis. L’une d’elles, ancien hôtel de Rohan, a gardé son jardin dont les verdures retombent vers la rivière. Le port est sur la rive gauche. En ville, les vieilles maisons ne sont pas rares, forment des rues et des places irrégulières. L’une d’elles porte à son fronton un homme d’armes et un lion, avec cette inscription : Tire, Tue. On raconte encore que s’exerçait ici autrefois le devoir de quintaine, l’obligation pour tous nouveaux mariés de courses sur l’eau, où il leur fallait frapper trois fois un poteau, à peine d’amende au profit du seigneur. Et puis, que Landerneau fut une ville de frivolités, de luxe et de gourmandise, mais qui se montrait fort stricte sur les devoirs religieux, pendant le carême : aussi, pendant les jours maigres, les chiens habitués à la bombance des reliefs de repas somptueux, fuyaient par bandes vers Brest pour satisfaire leur faim. Je laisse là tant de commérages qui accablent la petite ville, mais non sans avoir visité, sur la rive droite, Saint-Houardon, restauré, qui a gardé son délicieux portail Renaissance ; sur la rive gauche, Saint-Thomas-de-Cantorbery, à la tour garnie de trois rangs de balcons, au porche marqué des armes de Rohan (Roi ne puis, duc ne daigne, Rohan suis), aux sculptures satiriques coloriées dans un bas-côté, un porc buvant au robinet d’un tonneau, des ivrognes mettant le porc lui-même en perce comme une futaille, un renard prêchant à des poules ; et en face Saint-Thomas, une petite chapelle devenue habitation particulière, abîmée, bouchée ou trouée çà et là, mais qui a gardé des restes exquis.

LE VIEUX PONT DE LANDERNEAU.

Au-dessus de Landerneau, en allant vers la mer, je m’arrête à Lesneven, vieille petite cité toute grise, toute triste, où j’ai des souvenirs de famille souriants et mélancoliques. Le général Le Flô y naquit. Francisque Sarcey y fut professeur. Le Flô y a sa statue. Sarcey y aura peut-être un jour son buste. C’est tout. Je n’ai plus personne à voir ici. Je passe. Je vais au Folgoët, un pauvre hameau, une des plus anciennes et des plus belles églises de la Bretagne.

C’est une saisissante impression que l’on ressent en arrivant au Folgoët lorsque l’on vient par la route de Lesneven, fleurie d’ajoncs. J’ai fait souvent cette promenade, et elle a toujours eu le même caractère de mélancolie, au printemps, par le ciel clair et la campagne fleurie, à l’automne quand le vent de mer faisait se mouvoir le grand ciel de nuées grises. Rien n’est plus poignant que d’arriver au hameau du Folgoët, parmi les quelques maisons, sur la grande place envahie d’herbe, bordée de quelques masures, et de voir face à face l’ancienne maison des pèlerins et l’église. Le passé et le présent, ici, sont aussi mornes l’un que l’autre. Les pierres appa-