Page:Le Tour du monde, nouvelle série - 08.djvu/311

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rasés sur le sommet du crâne qu’ils coiffaient, pour travailler, d’une toque à houpille rouge comme celle des enfants de chœur. Le dimanche, ils se revêtaient d’un habit de drap sombre, culotte ample, serrée aux genoux d’un cordon à pompons, habit carré aux poches bordées de ganses, gilet au col et aux revers brodés, ceinture de couleur, souliers à boucles, large chapeau à ruban de velours. Les femmes, en jupes unies un peu courtes, en coiffes aux longues ailes retombant sur les épaules, agrémentaient cet aspect sévère de broderies au corsage, d’entre-deux de dentelles, de ceintures de soie. Il existe encore quelques-uns de ces costumes, mais leur nombre va diminuant, sous l’influence du service militaire, des villégiatures, etc. Un costume qui n’a pas dû varier, et qui ne variera pas de sitôt, c’est celui des ramasseurs de goëmon, explorant les côtes à marée basse, les jambes nues, les épaules couvertes d’une pèlerine à capuchon, armés de râteaux aux longues dents de fer. Les herbes marines sont mises en tas, les chariots, traînés par de solides chevaux, viennent jusqu’au milieu des rochers, entrent dans l’eau, pour charger ces épaves, étalées ensuite à sécher sur la grève, amoncelées enfin, réduites en cendres, qui deviennent de la soude et de l’engrais.

De Lannilis, on peut remonter le cours de l’Aber-Benoït, ou Havre bénit. On peut aller aussi à Ploudalmézeau où la Vierge est, dans l’église, en coiffe bretonne. De Ploudalmézeau, on est en quelques instants à Porsal d’où l’on peut explorer la côte. Porsal est un petit port formé par une anse naturelle. Je suis les échancrures de la terre jusqu’à la pointe de Corn-ar-Gaz où commence la grande plage qui se développe jusqu’à Teven-Pen-ar-pont. Là se déploie un magnifique paysage de mer, aux dunes d’un sable fin et blanc, creusées par le flot, recouvertes d’un gazon rude. C’est éblouissant, d’une fraîcheur de lumière délicieuse, d’une solitude absolue, à croire que l’on vient de découvrir un pays inhabité. La mer déferle doucement, une fine salure me vient au visage. J’ai beau marcher, marcher, droit devant moi, sur le sable blanc, sur les dunes herbues, je suis toujours seul. Les premiers personnages vivants que je rencontre, c’est un troupeau de vaches et de veaux qui paraissent jouir comme moi, avec une sérénité parfaite, de ces délices de l’eau et de l’air. Je reviens, je rentre en pays social, mais ce pays est aussi d’une tranquillité absolue : des carrés de pommes de terre, de panais, de choux, tout contre la mer ; des moutons rasant l’herbe de leurs dents coupantes : des porcs, des oies, des canards, fouillant le sable, cherchant les coquillages et les petits poissons ; des hommes et des femmes dans la fumée du goëmon.

LA COUR DE L’HÔTEL DES ANGES, À L’ABERVRACH.

De l’autre côté de Porsal, c’est Kersaint, sa vieille église, ses pierres usées, son clocher rongé par la pluie. On croirait plutôt une grange que l’ancienne collégiale des seigneurs du Châtel, n’était le luxe relatif qui entoure l’autel : les ornements de toute espèce y sont accumulés, des ex-voto, des statuettes de saints, des peintures, des images. Non loin, les ruines de Trémazan, château bâti au xiiie siècle par les Tanneguy du Châtel. À Landunvez, où j’arrive au moment où le flux commence à se produire, un berger rassemble son troupeau de moutons, l’amène, par un détour, derrière un groupe de maisons isolées par un creux où vient affluer l’eau de mer. Ce sont les moutons de Panurge : le berger en jette un à l’eau, les autres suivent, tous nagent, et quand l’un remonte la berge, tous remontent en s’ébrouant, sous l’œil du maître et sous l’œil non moins vigilant du chien, et tous retournent paître sur la falaise.