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deux de ces abîmes ; à notre grand dépit, cette route nous amène dans une zone encore plus disloquée. Force nous est donc de revenir en arrière sur une distance de 1 600 mètres environ. Ayant alors fait route à l’Ouest, nous tombons sur une nappe hachée de sastrugi.

Evans reste notre grand souci. Les crevasses qui couvrent ses mains et son visage suppurent et son nez a très mauvais aspect ; le plus grave, c’est qu’il est très abattu. Sur le glacier, son état pourra s’améliorer ; dans un milieu moins froid, ses souffrances diminueront. La pensée que nous en aurons bientôt fini avec le plateau me soutient. Vingt-sept jours ont été nécessaires pour atteindre le Pôle et vingt et un pour en revenir en tout quarante-huit jours près de sept semaines passées sous de basses températures et avec un vent presque constant !

Mercredi, 7 février. — Dépôt du mont Darwin ou du Glacier supérieur. Altitude : 2 130 mètres. Grâce, peut-être, au thé chaud et à un bon repas, l’après-midi, le moral est meilleur. Nous approchons du but. Vers 6 h. 30, nous apercevons le dépôt et, une heure plus tard, campons près de cette cache.

Trouvé une note du lieutenant Evans annonçant le passage de son groupe le 14 janvier à 2 h. 30. Ils étaient en bonne santé. Cette escouade a employé une demi-journée de plus que nous à revenir d’un dépôt à l’autre et a pris ici la quantité de vivres qui lui était allouée.

Mardi, 8 février. — Affreuse matinée ! Vent violent et froid. Nous nous dirigeons vers le mont Darwin pour examiner les roches qui le constituent. Envoyé Bowers en avant, sur ses skis, Wilson ne pouvant à présent employer les siens. Il recueille quelques échantillons tous à peu près du même type, un granite rougeâtre à grains serrés. Ailleurs, il trouve des calcaires roses. Après qu’il nous a rejoints, nous dévalons une pente à vive allure, les chefs de file sur leurs skis, Oates et Wison à pied à côté du traîneau ; Evans marche seul. Nous souffrons du froid et nous nous sentons fort peu en train. Heureusement la situation va bientôt s’améliorer.

Nous nous dirigeons vers la moraine située sous le mont Buckley. Chaussés de nos crampons, nous traversons d’abord plusieurs pentes abruptes, très irrégulières, et coupées de grandes crevasses ; après quoi, une glissade nous amène au milieu des pierres. La moraine est très intéressante ; aussi, après avoir parcouru quelques kilomètres, le vent s’étant apaisé, je décide de camper et de passer le reste de la journée à faire de la géologie.

Quel plaisir on éprouve à fouler la roche en place, après avoir passé soixante-quatorze semaines sur la neige et sur la glace et près de sept sans avoir vu autre chose qu’une infinie nappe blanche ! La même impression que lorsqu’on débarque à la suite d’une longue traversée !

Vendredi, 9 février. — Près de 20 kilom. 8. Suivi la moraine jusqu’à l’extrémité du mont Buckley. Stoppé et fait de la géologie. Très chaud pendant l’étape ; tous assez fatigués. Soirée merveilleusement calme et douce, quoique le temps ait été couvert tout l’après-midi. Quel plaisir de pouvoir rester dehors à se chauffer au soleil.

LA TENTE DE L’ESCOUADE DU PÔLE APRÈS UN BLIZZARD.

Samedi, 10 février. — Température −12°,2. Avons admirablement dormi la nuit dernière ; aussi, ce matin, toutes les mines sont transformées. Nous ne sommes partis, par suite, qu’à 10 heures du matin. Déjeuné un peu avant 3 heures. Après quoi, les montagnes se couvrent. La neige commence à tomber, chassée contre nous par un vent du Nord — très chaud ; impossible de se diriger. Aussi nous campons de suite. Les sacs renferment encore des rations entières pour deux jours, mais nous ne savons pas exactement notre position ; en tous cas, nous sommes à moins de deux étapes du « dépôt du Milieu du glacier ».