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Sur un pareil terrain une sensation de monotonie oppressante vous étreint ; facilement même on éprouverait l’impression de la défaite imminente si le déjeuner et le dîner ne faisaient oublier très vite les vicissitudes de la marche. Le repas achevé, nous nous sentons prêts à un nouvel effort. Allonger les étapes serait très pénible ; si nous pouvons le faire pendant quatre jours encore, nous atteindrons le but.

Ce soir, au moment de camper, nous sommes tous glacés. Après cela, nous nous attendions à souffrir du froid pendant la nuit, mais, à notre grande surprise, la température a été plus élevée que la veille, alors qu’un beau soleil brillait. Je ne puis découvrir la cause de cette sensation de froid subite et très vive que nous éprouvons tous ; elle provient sans doute en partie de notre état de fatigue, en partie aussi, je crois, de l’humidité que l’on observe dans l’air.

Samedi, 13 janvier. — Soixante-cinquième campement. Température : 30°,2 sous zéro. Minimum : −30°,5. Presque 89°,9′ de latitude Sud. Après le déjeuner, très bon départ ; deux heures plus tard, la neige devient plus poudreuse que jamais. Malgré cela, nous parcourons 11 kilomètres, ce qui donne plus de 20 kilomètres pour la journée. Encore une étape allongée, et un peu au delà ! La chance tient.

Nous avons l’impression de descendre un peu. Quel effort épuisant exige le halage de ce léger traîneau ! Néanmoins nous avançons. Cet après-midi, pendant quelques instants, j’ai réussi à penser à autre chose qu’à notre labeur ; combien cela m’a reposé ! À la fin de l’étape, plus qu’à 94 kilomètres du Pôle ! Si nous ne l’atteignons pas, nous en approcherons très près.

Dimanche, 14 janvier. — Toute la journée, le soleil s’est vaguement montré à travers des pannes de nuages. Bonne brise de Sud avec chasse-neige au ras du glacier ; par suite, piste un peu meilleure. La conduite de la caravane est horriblement fatigante et difficile. Très souvent je ne puis rien voir. Bowers, monté sur mes épaules, m’indique alors la direction.

Le soir, ciel très chargé ; on distingue à peine le soleil ; en même temps, la température est montée ; autant d’indices de l’approche d’un blizzard. J’espère qu’il n’aboutira pas : dans ces parages, la surface du glacier ne porte pas trace de vent violent ; aussi bien, même si cela souffle un peu, nous pourrons marcher.

Aujourd’hui, nous éprouvons de nouveau une sensation de froid. Pendant le déjeuner, nous avons les pieds glacés ; nos mocassins sont, il est vrai, en piteux état. Après avoir enduit nos pieds de graisse, j’ai de suite plus chaud. Plus qu’aucun de nous tous, Oates semble ressentir le froid et la fatigue ; néanmoins, tous nous sommes en très bon état. C’est un moment critique à passer, nous en sortirons certainement. Le baromètre a considérablement baissé ; cette chute est-elle due au relèvement du plateau ou à une dépression, nous n’en savons rien encore. Que seulement nous ayons quelques belles journées ! Le but semble si proche. Seul le mauvais temps pourrait nous empêcher de l’atteindre.


(À suivre.) Adapté par M. Charles Rabot.


UNE PAIRE DE MOCASSINS GARNIS DE CRAMPONS (page 82).