Page:Le Tour du monde - 01.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cours de l’Ousouri et de celui du Soungari, affluents de l’Amour. Ils sont terriblement voisins de la Corée, dont l’indépendance est sérieusement menacée (voy. la 7e livraison).

Tous les yamouns appartiennent à l’empereur ; c’est une propriété inaliénable et imprescriptible. Les mandarins n’étant en fonctions que pour trois ans, pensent plus à arrondir leur trésor qu’à embellir leur demeure, ce qui explique l’état de dégradation où sont tombés tous les édifices publics dans toute la Chine.

La vénalité est à l’ordre du jour en Chine : avec plus ou moins de sapèques, on peut tout, on sait tout ; c’est une affaire de nombre. Les riches marchands de Soutchou-fou avaient gagné les secrétaires des hauts commissaires impériaux, et ils savaient aussi bien que nous tout ce qui se passait à Tien-tsin. Nous n’étions point encore de retour du Péchéli, que déjà le tao-taï de Shang-haï avait entre ses mains le texte chinois du traité anglais, et le communiquait à M. de Montigny. Avec cet entourage de lettrés et de mandarinaux qui sans cesse environne les autorités chinoises, tout secret d’État est impossible à garder.

Il existe encore à Pékin une grande église, plus considérable que la cathédrale de Tong-ka-tou. Confisqué jadis aux missionnaires, cet édifice n’a point reçu de destination. Il y a cinq ou six ans, la croix en surmontait encore le dôme ; mais on l’a enlevée à cette époque, sous le prétexte que ce signe portait malheur et attirait les rebelles. Si la cour de Pékin consentait à restituer cette église à nos missionnaires, ce serait une preuve éclatante de la franchise de ses intentions et de l’abandon de la vieille politique anti-européenne.

Il y a en Chine de riches mines d’or, d’argent et de vif argent. Mais le gouvernement en défend l’exploitation sous peine de mort, alléguant que ce serait enlever des bras à l’agriculture et que, dans un pays peuplé comme le Céleste-Empire, qui a tant de peine à nourrir ses habitants, tout doit être sacrifié à l’intérêt du labourage. Il y a un autre motif à cette prohibition absolue. Le gouvernement chinois concédait, il y a peu de temps encore, l’exploitation des mines à certaines personnes. Mais à peine les concessionnaires avaient-ils amassé un petit trésor qu’une troupe de bandits bien armés se précipitait sur eux. Il s’ensuivait des rixes, des batailles, et des vols à main armée. Cette tactique se renouvelant sans cesse, la cour de Pékin, pour couper court à ce désordre, a complétement prohibé l’exploitation des mines dans tout l’empire. Il n’y a plus maintenant qu’une exploitation frauduleuse et cachée, faite à l’insu du pouvoir. On cite à Ning-po un simple coolie qui s’est enrichi de cette manière : il travaillait de nuit avec une rare intelligence. Il y a de nombreuses mines de charbon de terre dans les environs de Pékin ; mais elles sont exploitées comme au temps d’Abraham, sans aucun souci de l’avenir. Les mines de Formose, exploitées par des compagnies chinoises, commencent à fournir leur charbon aux vapeurs européens.

On rencontre partout dans la campagne chinoise des cercueils peints en rouge, placés au milieu des champs. Ce sont des morts qui attendent la sépulture. La famille n’est pas assez riche pour payer un terrain convenable et pour faire les frais d’un enterrement solennel ; elle attend que plusieurs de ses membres soient défunts pour faire toutes ces dépenses à la fois. Si c’est le père qui est mort, on attend la mort de la mère, souvent celle du fils aîné : car un enterrement solennel, c’est une ruine, et la moitié de la fortune y passe souvent.

Le cabotage européen sur les côtes de la Chine a pris, depuis quelques années, un assez grand accroissement. Partout où un navire européen s’établit, quinze jonques au moins disparaissent, et cela pour trois raisons : le navire européen est vaste, il navigue en toute saison, il peut être assuré ; la jonque au contraire est d’un faible tonnage, elle est obligée d’attendre les moussons, et les Chinois ne connaissent point le système des assurances maritimes. Le commerce de cabotage est celui qui aurait pour les Français le plus d’avenir en Chine. Notre pavillon y jouit déjà d’une très-grande considération. M. de Montigny a organisé tout un service de barques chinoises, portant pavillon français, ayant chacune un matelot français pour capitaine, et faisant le traversée entre Shang-haï et Ning-po. Ces barques portent les lettres, les passagers, les marchandises, et inspirent une si grande confiance aux Chinois, qu’ils les préfèrent à toutes les autres portant leur pavillon ou le pavillon portugais. Aussi les propriétaires font-ils d’excellents bénéfices.

Tous les Européens établis dans les ports ouverts se plaisent à reconnaître l’honorabilité du haut commerce chinois. Ils avouent même que les grandes maisons de banque chinoises sont souvent plus sûres que les grandes maisons européennes. Mais il n’en est point de même dans le commerce de détail.

En Mongolie, il y a huit ou dix mille chrétiens, mais ce sont tous des Chinois. Les Mongols sont refoulés peu à peu, chaque année, par cette invasion toute pacifique. Les Chinois passent la Grande-Muraille, achètent leurs terres et les cultivent. Les Mongols, ne voulant point renoncer à leur vie nomade et adopter la vie sédentaire, reculent plus au nord de la Terre des herbes, offrant ainsi quelque analogie avec les Indiens de l’Amérique du Nord, qui reculent et disparaissent devant la civilisation. Les Mandchoux sont aussi devenus complétement Chinois : rien ne les distingue plus des habitants du Céleste-Empire.

Les missionnaires nous ont souvent entretenus des affreux ravages que cause l’usage de l’opium en Chine, et des progrès rapides avec lesquels cette habitude délétère se répand chaque année dans l’empire. L’opium fut d’abord à l’usage exclusif des mandarins, qui le fumaient pour se donner du ton, pour prendre un excitant soit pour le travail, soit pour le plaisir. Ils en offraient à ceux qui venaient leur rendre visite, comme une curiosité, pour leur faire honneur, et ceux-ci n’osaient refuser. Peu à peu l’habitude s’en répandit ainsi dans les classes riches, parmi les lettrés, la noblesse, les gens approchant par leur position des mandarins, et parvint même sous le nom de tabac d’honneur à la connaissance du peuple, qui le