Page:Le Tour du monde - 01.djvu/214

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opinion, plaça son pied avec mépris sur l’une d’elles, sans cependant les renverser. On nous apprit plus tard que les porcs de la localité étaient tabou, et ces pierres avaient été ainsi disposées afin d’en avertir les étrangers. Ceci me rappela un tabou sur les nattes, que j’avais remarqué dans la ville de Viti. Là l’interdiction était indiquée par des mâts au haut desquels ou avait attaché quelques-uns des matériaux dont on tisse les nattes, et une coquille de triton couronnait le tout. Je fus frappé alors de l’analogie qu’offrait ce tabou avec ceux que nous avions remarqués sur les noix de cocos à l’île des Pins, qui fait partie de la nouvelle Calédonie.

« Le district où nous nous trouvions ne produisant pas d’huile de coco, on y supplée pour l’éclairage avec la gomme qui découle du dammara, arbre résineux. En langue figienne, cet arbre se nomme ndakua-ndina. On en distingue de deux sortes : le ndakua-leka (court) et le ndakua-mbulavu (haut). Le premier, d’une apparence ramassée et rabougrie, le second, d’un port remarquablement élancé. On attribue cette différence, dans le pays, aux circonstances d’exposition, de sol, etc. Lorsqu’on a recueilli la gomme qu’il livre en abondance, on la pétrit en pastilles d’environ 2 pouces (0, 05 environ) de longueur, et on les brûle l’une après l’autre aussi longtemps qu’on désire de la lumière. On se sert également d’un autre moyen moins primitif, en construisant avec un éclat de bois entouré d’écorce, une sorte de chandelle grossière. Souvent aussi, on enveloppe la gomme de feuilles, et reliant le tout avec un jonc ou toute autre matière fibreuse, on s’en sert comme d’une torche pour passer, durant la nuit, d’un lieu à un autre. Lorsqu’on brûle la gomme selon la méthode dont j’ai parlé en premier lieu, on la place dans des vases en terre afin d’empêcher la substance en ignition de se répandre et de mettre le feu aux matières sèches, ce qui entraînerait promptement l’incendie de toutes les maisons et du village. Nous nous rendîmes alors compte de l’usage d’une large pierre de forme conique, creusée à son sommet, que nous avions aperçue dans la maison des étrangers à Salaira, et dont l’emploi était resté jusque-là un problème pour nous. La gomme produite par l’arbre à pain, diffère essentiellement de celle du dammara, et par sa nature et par son usage. Au moment où elle s’échappe de l’incision faite à l’arbre, elle est légère et limpide ; mais quand on l’a recueillie dans un vase, elle ne tarde pas à se séparer, comme le sang, en deux parties : l’une coagulée, solidifiée, tombe au fond du vase, et l’autre, complétement liquide, surnage. On jette cette dernière, et le résidu est mis dans l’eau froide pour qu’il prenne plus rapidement sa consistance, et on la conserve en pains arrondis pour en user comme d’un ciment, mais non pas sans lui faire encore subir quelque préparation. Lorsqu’on la pétrit pendant un certain temps, à un degré de chaleur déterminé, elle devient excessivement malléable et en même temps si tenace, qu’elle s’attache aux doigts au point de ne plus s’en enlever ; on remédie, du reste, à cet inconvénient, en s’imbibant les mains de l’huile extraite de la noix de coco.

« Nondo-yavu-na-ta-thaki est sur l’emplacement d’une ville autrefois très-peuplée, aujourd’hui disparue. Il ne nous fut pas possible d’obtenir de renseignements exacts sur la cause de sa destruction ; tout ce qu’on nous en apprit c’est que les habitants étaient renommés pour la fabrication des lances. On raconte qu’ils avaient l’habitude, en partant le matin pour le travail, de démonter leurs maisons et de les relever le soir à leur retour. Les chefs de la côte brûlaient si régulièrement en quelque sorte les demeures à peine construites de ces pauvres gens, qu’ils avaient reçu cette bizarre et longue dénomination : « Les gens dont l’occupation est de couper des bois pour leurs maisons. » Les habitants actuels ayant abandonné un district voisin de la côte, par suite de guerres locales, avaient fixé leur séjour dans ce village ruiné, qu’ils avaient entièrement reconstruit.

« De toutes les informations prises par M. Waterhouse, il semble résulter que les seules divinités de ces tribus que nous parcourions, sont les esprits de leurs ancêtres. En d’autres parties des îles Viti, outre le culte des esprits des morts, on reconnaît encore l’existence d’autres dieux qui méritent plus justement ce nom. Dans les districts de la côte plus particulièrement les Katoavous ou dieux qui n’ont pas eu de naissance, sont les seuls qu’on adore. Plusieurs tribus de l’intérieur, bien que ne rendant aucun hommage à la divinité principale Ndengéi, en admettent cependant l’existence ; elles en ont reçu la tradition d’un district de l’oust, appelé Raau-ruggi-ruggi. Ce fait porterait à penser, selon l’opinion de M. Waterhouse, que ce district a fourni le fonds commun des croyances de la race vitienne, ou du moins que les naturels des autres districts sont des immigrants dont les idées religieuses procèdent de cette souche primitive. C’est de ce district que vient, dit-on, la connaissance du feu et son usage, ainsi que l’art de l’obtenir par le frottement de deux morceaux de bois. La viande et toute la nourriture, d’abord mangées crues, d’après la tradition, semblaient désagréables au goût ; un des fils de Ndengéi ayant frotté deux pièces de bois l’une contre l’autre, produisit alors du feu et fit cuire ses aliments ; c’est ainsi que la notion de cette précieuse ressource se répandit. Les naturels de Tonga ont une tradition semblable à ce sujet.

« Quelques localités se vantent de posséder des prophètes ou devins, complétement distincts des prêtres, et qu’ils appellent « les hommes qui prédisent les événements futurs ». Un de ces personnages vint s’asseoir près de nous dans le mbure-ni-sa, et notre chef lui fit un accueil empressé, le complimentant d’un « sa-laluma » (à vous mon amitié).

« Nous primes congé de nos amis de Nondo-yavuna-ta-thaki le 29 août, et ayant remonté la rivière sur un parcours d’environ dix milles, à travers le plus pittoresque pays de montagnes, rencontrant çà et là, tantôt des rapides, tantôt des hauts fonds, nous arrivâmes au village de Na-seivau, fameux pour ses sources chaudes. L’une d’elles tombait en bouillonnant du sommet d’une masse irrégulière de rochers, qui probablement avaient