Page:Le Tour du monde - 01.djvu/216

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promptement exécutée, et notre jeune amoureux, désirant aussi être étranglé, il partagea le sort de sa belle et mourut avec elle. Deux êtres humains furent ainsi lancés dans l’éternité, par les mains de l’homme qui le matin même nous avait apporté notre nourriture. On nous affirma que si le jeune homme n’avait pas été étranglé, il eût été assommé par son propre frère, n’importe où celui-ci l’aurait rencontré. Tel est l’ordre et la loi dans ces contrées bénies du ciel, où l’homme seul fait tache par ses mœurs et par ses cruautés.

« Le 2 septembre, nous atteignîmes enfin l’extrémité du bassin fluvial dont nous venions de suivre les détours pendant près de quatre-vingt-dix milles (cent cinquante kilomètres). Nous nous hâtâmes de faire une excursion au célèbre Moti Vai Tala, où se séparent les deux petits ruisseaux qui se jettent, l’un dans la Namasi, l’autre dans la Navua. Na-Ulu-Matua et Harry nous accompagnèrent, et notre promenade dans le vallon d’Ona-Mbaleanga fut charmante. Un riche vallon montueux situé sur la gauche de Na-Ndela-ni-Solia nous conduisit bientôt à un bruyant et limpide cours d’eau, qui, se bifurquant à angle aigu, envoie une partie de ses eaux à l’est par la rivière de Namasi, pendant que l’autre va se jeter avec la Navua sur la côte sud de Viti-Levou.

Vue prise sur les côtes de Vanoua-Levou, dessin de de Bar d’après le missionnaire Thomas Williams.

« Notre retour au navire, exécuté sans encombre, nous permit de revoir et d’étudier bien des points de vue, bien des beautés pittoresques que nous n’avions fait qu’entrevoir en allant. Chaque détour du fleuve, chaque ouverture de vallon débouchant sur ces rives nous mit à même de constater combien est fondée l’admiration que cet archipel, favorisé entre toutes les terres océaniques, a éveillé chez tous ces explorateurs, et plus d’une fois, pour ma part, je fus tenté de répéter l’exclamation que l’étude de ces îles arrachait, voilà plus de quinze ans, à l’illustre navigateur américain Wilkes : « … Devant ces plaines fertiles, ces lignes ondulées de collines, derrière lesquelles se dressent de hautes montagnes aux cimes escarpées ; à l’ombre de ces forêts épaisses coupées de riches cultures ; à l’aspect de ces vallons sinueux arrosés de ruisseaux, dont les eaux étincellent sous le ciel brillant des tropiques, comment admettre facilement que ces paysages, tels qu’en rêverait à peine l’imagination d’un artiste, n’aient été depuis des siècles, et ne soient encore en réalité que les repaires d’une race de perfides sauvages et de féroces cannibales ?

L. Michelant.