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fracturé, mais je ressentais dans la région de la poitrine des douleurs cuisantes et profondes, qui m’annonçaient de graves lésions à l’intérieur, et l’on craignit un moment pour ma vie. Cependant, après avoir enduré de grandes souffrances, je me rétablis, et comme ma passion pour la chasse s’était un peu refroidie, toutes mes pensées se tournèrent vers le lac Ngami. Je n’étais guère en état de supporter les fatigues du voyage, mais mon courage me donna des forces.

Le 23 juillet, mes gens me hissèrent sur mon cheval et je partis pour le lac, laissant à Kobis mes dépouilles de chasse, ainsi que d’autres objets que je confiai à la garde du chef d’un petit clan buschman.

… Le troisième jour, j’espérais arriver au lac avant la nuit ; mais le coucher du soleil nous surprit loin encore du but de nos désirs. Nous campâmes dans un fourré épais, près de gigantesques boababs, les premiers que nous ayions aperçus. Les troncs de plusieurs de ces arbres avaient, d’après notre estime, de quarante à soixante pieds de circonférence (12 à 18 mètres). Le combustible abondait, de tous côtés des feux éclairaient le bois sombre ; autour de ces bûchers des groupes de sauvages gais et joyeux, abrités par leurs boucliers fichés en terre derrière eux, donnaient à cette scène un aspect des plus pittoresques.

Le soleil à son lever nous trouva en marche, la matinée était fraîche et charmante, le but était proche, nous étions tous heureux ; aussi marchions-nous allègres et dispos. J’allais en éclaireur, car je voulais apercevoir, le premier, le lac Ngami. Le pays est des plus ondulés, et dans chaque vallée que j’apercevais à l’horizon je voulais voir un lac. Enfin j’entrevois à l’horizon une grande ligne bleue ; c’est, j’en suis convaincu, le but de mes ardents désirs : non, c’est encore une illusion ; ce n’est qu’un bas-fond, noyé pendant la saison des pluies, maintenant à sec et couvert d’incrustations salines. Nous traversons plusieurs vallées couvertes d’une riche végétation et séparés l’une de l’autre par des collines de sable. Comme nous arrivons au sommet d’une de ces dunes, les indigènes qui précédent notre troupe s’arrêtent soudain, puis, étendant le bras droit devant eux, s’écrient enfin : « Ngami ! Ngami ! » Une seconde plus tard, je suis près d’eux. Là, devant moi, sous mes yeux, s’étend une immense nappe d’eau qui se perd dans le lointain de l’horizon. Je suis enfin devant le but de ma longue ambition, ce but pour lequel j’ai abandonné parents, amis, patrie, pour lequel j’ai si souvent risqué ma vie et compromis certainement ma santé !…

La première sensation que j’éprouvai fut singulière. Bien que je fusse depuis longtemps préparé à cet événement, tout d’abord j’en fus presque accablé ! C’était un mélange de joie et de douleur. J’eus de tels battements aux tempes, mon cœur bondit si violemment dans ma poitrine, que je fus obligé de descendre de cheval pour m’appuyer à un arbre jusqu’à ce que mon émotion fût passée. Plus d’un lecteur dira peut être que cette émotion était un véritable enfantillage de ma part, mais ceux qui savent le sentiment profond qu’on éprouve la première fois qu’on entrevoit ce qui a été l’objet de longs rêves, d’une ambition plus longue encore, ceux-là me pardonneront.

Du fond de mon cœur, je remerciai la Providence, qui m’avait guidé dans mon long et périlleux voyage. Rudes et nombreuses avaient été mes fatigues, mais à cette heure si avidement attendue, tout était oublié. Dans ces quelques instants passés au repos, contre un tronc d’arbre, tout mon passé me revint en mémoire. J’avais pénétré dans des déserts à peine connus du monde civilisé ; j’avais souffert et la faim et la soif, et le chaud et le froid ; j’avais enduré de durs labeurs, au milieu de solitudes que troublent seule la présence de bêtes féroces ; j’avais passé de longues nuits désolées sans un abri ; mes compagnons, presque toujours, étaient des sauvages ; j’avais couru de grands dangers, et sur la terre et sur l’eau ; les animaux féroces m’avaient fait de cruelles blessures ; mais le Créateur m’avait préservé de tous les dangers qui semaient mon chemin… C’est à Lui que doivent revenir ma reconnaissance, mes hommages, ma profonde adoration.

Après m’être rassasié de cette vue, nous descendîmes vers le lac, que nous atteignîmes au bout d’environ une heure et demie de marche. Bien que l’air fût plus frais, la brise ne nous apporta pas de senteurs embaumées, comme nous aurions pu en espérer sur les bords d’un lac des tropiques.

Soit que mon imagination ait été trop exaltée, soit que l’immensité de cette mer intérieure et sa végétation luxuriante aient été exagérées par les voyageurs, il me faut avouer qu’après un examen plus attentif, je me trouvai quelque peu désappointé. Je dois dire que l’époque de l’année était peu favorable ; si je ne me trompe cependant, MM. Oswell, Livingstone et Murray, qui ont découvert le lac, l’ont aussi vu pendant cette même saison. Je dois dire, toutefois, que la partie E. du Ngami, la seule que ces messieurs aient visitée, est bien plus remarquable que la partie O., qui est le côté par lequel j’ai abordé cette vaste nappe d’eau pour la première fois.

Le niveau du lac était très-bas ; l’eau très-peu profonde, surtout à l’endroit où j’en approchai. Il est difficile d’arriver jusqu’à l’eau, qui est amère et désagréable : la vase ou d’épaisses ceintures de roseaux et de joncs en défendent les abords ; ces plantes aquatiques abondent en gibier d’eau. Je vis beaucoup d’espèces qui me semblèrent nouvelles ; mais nous n’avions pas le temps de chasser aux oiseaux.


VI

Remonte du Téoghé. — Belle végétation de ses rives. Chasses aux buffles.

… Après avoir exploré une partie des rives du lac, j’entrepris, avec l’aide de bateaux loués aux Bayèyes, sujets de Lecholètébé, de remonter le Téoghé, affluent le plus occidental du Ngami, dans l’espoir d’atteindre, par cette voie, les régions vierges encore de tout pied européen, où le Cunène prend sa source.