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accident, et qu’aussitôt après sa mort, le conclave s’étant assemblé, Léon XII avait été élu.

Bientôt un calme plat arrêta le brick : on sait ce que signifie en mer cette expression, surtout à bord d’un bâtiment à voiles, mais lorsqu’on n’a jamais navigué, on en saisit mal la valeur. C’est le moment où le navire, n’avançant plus, mais ballottant en sens divers, excite le plus cruellement cet état d’indicible malaise, qui fait parfois plus souffrir qu’une dangereuse maladie ; de tous les membres de la mission, celui qui fut le plus vivement incommodé du mal de mer, fut D. Giovanni Mastaï. Cette douloureuse indisposition s’éleva pour lui à un degré d’intensité qui amena la prostration absolue des forces, et cet état dura plusieurs jours. Le vent avait fraîchi de nouveau ; le 7 octobre, on entra dans le golfe de Lion ; le 9, le navire donnait déjà des preuves de sa marche supérieure, il filait dix nœuds à l’heure. Bientôt on eut dépassé la petite île de Minorque et l’on vit se développer le mont Serrat, avec ses innombrables dentelures à pic, ses hauts rochers, au pied desquels se laissent voir tant d’humbles sanctuaires qui contrastent par la simplicité de leur structure avec les montagnes grandioses qui les abritent. On se récriait avec admiration devant ce spectacle imposant, lorsqu’un vent terrible du sud-ouest, ce libeccio si redouté sur les côtes d’Italie, commença à souffler. Entrainé par la tempête, le bâtiment eut bientôt dépassé les côtes de la Catalogne et bientôt aussi il devint le jouet des flots devant le port de Valence, où l’Eloysa eût été chercher volontiers un asile, si l’on n’eût redouté plus que le mauvais temps le mauvais vouloir des autorités espagnoles, à l’égard d’une mission que le saint-siége dirigeait vers des contrées considérées encore comme se trouvant en état de rébellion contre la métropole. Mais le libeccio ne s’était pas calmé, la tempête, au contraire, devenait terrible, il fallut chercher forcément un refuge dans les domaines de cette Espagne qu’on voulait d’abord éviter. On se trouvait à peu de distance de Mayorque, on résolut d’entrer dans le port de Palma, et l’on peut dire que ce fut là en réalité qu’on vit commencer, pour la mission, la série de luttes, de contrariétés, et souvent d’ennuis plus graves qui, durant trois mois, marquèrent son voyage.

Après avoir été de nouveau le jouet des vents, s’être vue portée de Valence à Ivica, triste groupe de rochers qui la menaçait du naufrage, l’Eloysa mouilla enfin le 14 octobre dans ce port si sûr, si calme de Palma, où jamais tempête ne fut redoutée et d’où les yeux des pieux voyageurs pouvaient déjà se porter avec admiration sur cette splendide cathédrale qui offre au loin à la vue l’agréable magnificence de son architecture.


Palma. — Emprisonnement dans le Lazareth.

En voyant flotter le pavillon sarde sur le brick qui demandait asile, les autorités de l’île s’émurent ; la visite de santé vint immédiatement à bord, et sur une première invitation de l’autorité locale, Mgr Muzi se vit contraint de se rendre à terre. Il fit choix pour l’accompagner de D. Giovanni Mastaï, à peine remis de ses souffrances, et laissa à bord l’abbé Sallusti.

Le prélat descendit dans l’embarcation qui lui était destinée ; on se dirigea aussitôt vers la terre, mais à peine débarqués, les voyageurs furent conduits au Lazareth, et malgré leurs réclamations, malgré le caractère dont ils étaient revêtus, ils entendirent bientôt se fermer sur eux les triples verrous de cette véritable prison. La nouvelle étrange de cette sorte d’arrestation ne tarda pas à venir jusqu’à l’Eloysa, elle mit tout en rumeur à bord, comme on le pensera aisément, et l’abbé Sallusti alla sans hésiter à terre partager la captivité de ses compagnons. Ceci avait lieu le 16 octobre ; le 17, les trois membres réunis de la mission subissaient un premier interrogatoire, non pas comme celui auquel on admet les voyageurs au long cours qui ont enfreint parfois les ordonnances de santé, mais bien comme l’interrogatoire juridique auquel on soumet des gens réellement coupables ; l’abbé Sallusti nous a conservé une peinture assez originale de cette scène passablement étrange et nous le laisserons parler ici :

« Tout fut disposé pour le grand Sanhédrin, dit-il, et le nouveau prétoire de Pilate se trouva établi à l’entrée même du Lazareth. Ce fut là que vint siéger l’alcade de la ville, porteur d’une mine des plus renfrognées et lançant parfois des coups d’œil qui voulaient être menaçants. En sa qualité d’autorité judicaire, la présidence, en effet, lui était dévolue. C’était avec un air de majesté mille fois plus imposant que celui qu’eût pu garder un proconsul romain, qu’il nous adressait les demandes auxquelles il nous fallait répondre. À côté de lui se trouvaient deux autres ministres de la justice, d’apparence tout aussi sévère, dont le fier aspect nous glaçait d’effroi et dont les regards nous faisaient trembler. Un notaire à maigre encolure, à figure cadavérique, ayant tout l’air d’un pharisien, devait enregistrer les demandes et les réponses. Or, quand tout fut prêt, on plaça, au milieu de cette vraie synagogue de gens mal disposés pour nous, un petit escabeau de bois sur lequel s’assit d’abord Mgr Muzi et chacun de nous ensuite, mais alternativement, pour passer par l’examen que nous avions à subir ; néanmoins, avant que l’interrogatoire commençât, on fit toutes les fumigations qu’inspire la crainte de la peste… Cela terminé, nous fûmes interrogés successivement par le juge suprême sur notre pays, sur les emplois que nous y occupions, sur l’objet de notre mission. On voulait savoir si en nous rendant en Amérique nous y étions conduits par un but politique. À tout cela, il fut répondu catégoriquement et avec une bonne foi parfaite de la part de chacun de nous… Les longues réponses n’étaient pas permises et il n’eût pas même été prudent d’entrer dans de grands détails : un oui, un non, était tout ce qu’il fallait dire quand la chose était possible, et en réalité c’était bien la réponse la plus sûre pour ne pas se compromettre. Toutefois, il ne nous avait pas été permis de demeurer ensemble durant l’examen, mais le local était disposé de telle sorte qu’on entendait les paroles adressées à chacun de nous et que nous pûmes