Page:Le Tour du monde - 01.djvu/288

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vieillard : « Non, non ! ka-ween, ka-ween ! Votre maïs, répondit alors l’interprète, nous vous l’avons payé en tabac. Maintenant, si nous voulons aller à la rivière Rouge par le chemin de la rivière Muskeg, c’est que nous avons appris que les longs couteaux (les Américains) prenaient cette voie. Nous avons besoin de savoir si c’est vrai, s’ils viennent dans le pays et ce que ces hommes blancs viennent y faire. Souvenez-vous, nous sommes vos amis.

— Pourquoi ne pas le dire tout de suite ? » interrompit le chef, et il se mit à consulter les siens, sans résultat d’ailleurs, car il reprit : « Nous savions bien qu’il y avait quelque chose ; mais notre parole est tombée de notre bouche et nous ne pouvons pas la changer. C’est l’avis de tous. Nous n’avons pas besoin de l’homme blanc ; quand l’homme blanc vient, il apporte la misère et la maladie, et notre peuple périt. Nous ne désirons pas mourir ; beaucoup d’hommes blancs nous apporteraient la mort, et notre peuple s’éteindrait. Nous désirons conserver le pays que Dieu nous a donné et que nos pères nous ont laissé. Dites-leur cela, ajouta-t-il en s’adressant à l’interprète ; la conversation est terminée. »

Chasse à l’ours. — Dessin de Doré, d’après un dessin du capitaine Palliser, p. 275.

Il fallut renoncer à marcher vers l’ouest, et faire un détour vers le nord en suivant le cours tourmenté de l’imposante rivière Winnipeg. Un immense labyrinthe d’îles encombre la sortie du lac des Bois. Dans cette direction le paysage prend un aspect plus sévère, les rochers se dépouillent, et c’est au milieu d’un véritable chaos, par mille bras enchevêtrés dans tous les sens, que s’engouffrent les eaux du lac. Elles s’encaissent de plus en plus à mesure que la vallée se rétrécit ; elles se heurtent, se brisent, se précipitent en cataractes de 350 pieds de haut, tantôt d’un vert d’émeraude, tantôt blanches d’écume, rompant seules par leur mugissement l’éternel silence de cette solitude. Spectacle merveilleux qu’on sent et qu’on ne peut rendre ; qui échappe à toute description et qu’aucun pinceau ne saurait reproduire, quand les premiers rayons du soleil viennent iriser l’écume fumante, colorer les hautes cimes, tandis que le gouffre reste dans l’obscurité ; ou bien quand, par une belle nuit, la lune, dominant la scène, argente de sa pâle clarté les mille remous de la rivière.

Soixante-quatre lieues de navigation pénible conduisent au lac Winnipeg, une véritable mer intérieure qui, avec les lacs qui en dépendent, représente une superficie à peu près égale à celle de l’Érié et de l’Ontario réunis. Nous sommes au fond d’un autre bassin, après avoir définitivement franchi les rampes inférieures du long contre-fort qui, en se prolongeant vers le nord-est, forme la charpente osseuse du Canada. Ce bassin est immense. Il s’étend, à l’ouest, jusqu’aux montagnes Rocheuses, et la seule vallée de Winnipeg ne peut être évaluée à moins de 640 000 kilomètres carrés. Il reçoit le tribut de magnifiques cours d’eau, presque tous navigables jusqu’à