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VOYAGES EN PALESTINE [1].

(1856-1859. — inédits).
QUINZE JOURS à JERUSALEM. — EXCURSION EN TERRE-SAINTE.


I

QUINZE JOURS À JERUSALEM.

NOTES AU CRAYON, PAR BIDA.
1856. — Inédit.

8 juillet 1856. — Nous arrivons à Jalla. Je quitte le bateau avec plaisir. — Je me rends chez l’agent consulaire pour lequel j’ai une lettre. Il me procure des chevaux et un drogman nommé Constantin, et à trois heures je pars pour Ramlé. J’y arrive à six heures. Descendu au couvent, où je suis très-bien reçu par les moines, dont le prieur, poli du reste, a cette bienveillance monotone d’un homme qui ne voit jamais que des gens qui passent. Je dîne, et à onze heures je repars pour Jérusalem. Un Polonais, un Anglais et des juifs qui vont en pèlerinage se joignent à moi qui ai un drogman et des armes, et nous nous mettons en marche par une nuit des plus obscures. Le temps est lourd et bas ; heureusement, les quatre heures de plaine que nous avons à parcourir se font par un beau chemin.

Vers trois heures du matin, nous entrons dans les rochers qui commencent les montagnes de la Judée. Nous marchons un à un, vu l’exiguïté du chemin ; les conversations polyglottes ont cessé, et l’on n’entend plus que le bruit du fer de nos chevaux sur le roc. Cette heure est pénible. Je dors presque sur mon cheval. Au point du jour, nous sommes en pleines gorges par une route fort difficile. Entre Ramlé et Jérusalem, il n’y a guère que deux villages à noter : l’un nommé Abou-goch, et un autre dont j’ai oublié le nom, où nous faisons boire nos pauvres chevaux dans une citerne. Quelle aridité, quelle tristesse sur ces montagnes ! Je m’étonne d’entendre chanter des oiseaux dans cette affreuse solitude ! Et cependant il y a bien des êtres humains qui ne craignent pas d’y vivre avec leurs enfants !

9. — Enfin, à huit heures je vois les murailles de Jérusalem. Le soleil nous brûle déjà et crépite sur les pierres, qui ont l’air de remuer. Personne autour de la ville. Pas de bruits du dedans. On dirait d’une ville morte. J’entre par la porte de Damas (voy. p. 400). Les rues sont sales, presque solitaires, noyées dans l’ombre à cause des voûtes nombreuses qui les couvrent. Des ruines et des haillons partout. Un chiffonnier ferait sa fortune ici. Quant aux habitants, ils sont rares, et semblent dévorés d’ennui et de misère. Les passants rasent lentement les maisons ; ils n’ont pas l’air d’avoir affaire. Ils vont pour aller. Les marchands attendent une pratique qui ne vient pas. Tout ce pauvre monde est désœuvré, hâve et d’un aspect navrant. Pourtant cela m’intéresse plus que les criailleries et le tumulte des autres villes d’Orient.

Je descends à l’hôtel Anglais, dans la voie Douleureuse. Je me fais conduire au bain. Il est odieux ; mais je suis si fatigué, que je ne crains pas de m’y laver et même d’y dormir. — À midi, Constantin vient me tirer de cet antre ; je m’habille et je vais au consulat de France. Je remets à M. le consul une lettre d’un de mes amis de Constantinople. M. l’ambassadeur avait eu la bonté de donner avis de mon arrivée, en sorte que je suis reçu avec la plus parfaite courtoisie. Je rentre pour dîner à l’hôtel.

Les premières heures de mon arrivée dans une ville nouvelle sont toujours accompagnées d’une invincible et indicible tristesse. Je me couche de bonne heure.

10. — Très-bien dormi. Je vais, comme de raison, faire ma première visite au Saint-Sépulcre (voy. p. 397), où j’entends la messe d’un missionnaire français qui revient des Indes. Après la messe, ce digne prêtre veut bien me guider et me montrer les différents sanctuaires. Ce lieu, plein de si grands souvenirs, inspire le respect. Toutes les religions, toutes les communions viennent là comme au centre de toute croyance ; car le Turc qui garde la porte de ces lieux sacrés, en fumant sa pipe, ne me paraît pas le moins respectueux de tous les hérétiques,

  1. Nous publions sous ce titre deux relations inédites. La première est un simple journal écrit au courant du crayon, sans aucune intention de publicité ; M. Bida, qui, sur nos instances, a bien voulu nous abandonner son manuscrit, se défend d’être écrivain. Mais on retrouvera, dans cette rapide esquisse, le sentiment de concision et le don d’observation précise et sérieuse qui donnent un si grand caractère aux œuvres de cet excellent artiste.

    La seconde relation, beaucoup plus étendue, et qui se continuera dans la livraison 2e est d’un écrivain exercé, qui a bien vu et étudié la Palestine, et qui n’est étranger à aucun des travaux récents dont elle a été l’objet : il désire, et nous le regrettons, que son nom ne soit pas publié.

    Quant aux gravures, les unes sont les fac-simile de dessins de M. Bida, les autres reproduisent fidèlement, mais avec art, de belles photographies, en grande partie empruntées au magnifique album publié sous le titre de Jérusalem, par M. Auguste Salzmann, à la librairie de MM. Gide et Baudry (Paris, 1856).