Page:Le Tour du monde - 01.djvu/411

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le rocher seul serait resté dans le sanctuaire du temple, masqué aux yeux des fidèles par un velarium derrière lequel le grand prêtre avait seul le droit de pénétrer pour y prononcer le saint nom de Dieu.

« Un escalier de huit degrés conduit dans la chambre inférieure, qui a pour plafond la roche sacrée. On appelle cette arête de la pierre faisant saillie au-dessus de l’escalier « la Langue, › en souvenir des paroles de politesse qu’elle échanges avec Omar. Celui-ci étant parvenu à retrouver l’oreiller de Jacob, s’écria dans sa joie : Es selam aleik (le salut sur toi), et la pierre lui répondit aussitôt : Aleik esselam (sur toi le salut). Tout autour de cette chambre, qui est à peu près circulaire, sont les Mihrab ou lieux de prières d’Ahraham, de David, de Salomon et de Khader : car tous les prophètes, depuis le commencement du monde, ont récité ici leur namaz. Comment Mohammed, le prophète des prophètes, ainsi que l’a constaté l’arrêt de Dieu, daté de cinquante mille ans avant la création, arrêt qu’il portait écrit avec des lettres de feu sur ses épaules, ne serait-il pas venu, lui aussi, proclamer à cet endroit la gloire de l’Éternel ! En une nuit la jument El Boraq l’amena de la Mecque, et sa ferveur fut si grande, qu’il laissa sur la muraille l’empreinte de son turban, empreinte que l’on montre encore aujourd’hui.

« Remontons dans le temple et faisons le tour de la galerie, en commençant par le côté nord. La grande chaire, que nous apercevons la première est un minnber réservé spécialement au khoutbé, espèce de prône que le khatib récite le vendredi, avant de commencer le namaz solennel ; sur un pupitre en bois est placé un fort beau koran ayant un mètre environ de long, qui aurait appartenu, dit-on, au calife Omar. Nous remarquons encore pendus au mur le bouclier de Hamzé, le compagnon du prophète, le sandjak (drapeau) d’Omar et la masse d’armes de David ; plus loin, une pierre, de forme extraordinaire attire l’attention ; c’est la selle d’el Boraq, la jument de l’archange Gabriel.

« Devant la porte de Djinné se trouve une belle plaque de jaspe vert encastrée jadis dans le sol à l’aide de dix-huit clous dorés ; aujourd’hui elle ne tient plus que grâce à trois mauvaises pointes de fer, dues encore à la générosité des mutewelli. Pour cacher leurs abus, ceux ci font accroire au peuple que le mauvais esprit, voulant traverser la porte du paradis (Djinné) fut tenté par la vue de l’or et commença à voler les clous, mais que, surpris par les anges gardiens, il fut battu et à jamais chassé de ce glorieux séjour. D’autres disent au contraire que ces clous ayant été placés par Mahomet pour indiquer le nombre d’années que doit durer le monde, un clou disparaît à la fin de chaque siècle, et va consolider le trône d’Allah. N’ayons donc aucune crainte de la prochaine fin du monde ; malgré les comètes prédites par les astronomes allemands, de par les mutewelli, nous savons que trois siècles doivent encore s’écouler jusqu’au jugement dernier. Alors Issrafil, le gardien de la trompette céleste (Borou) fera entendre une première fois le chant de la mort universelle ; la seconde fois, quarante ans plus tard, celui de la résurrection générale. Le Mekhémé divin ouvrira en ce moment ses séances : chaque homme apportera le registre où sont inscrites journellement ses bonnes comme ses mauvaises actions et le déposera dans les plateaux de la balance (Vezn) déjà suspendue entre les deux portiques, au sud de la mosquée, mais que les yeux humains ne voient pas encore ; puis, après l’épreuve du pont Sirath, les élus revêtiront une forme jeune et belle pour jouir de la félicité éternelle ; au contraire les réprouvés, hideux et difformes, seront livrés aux anges noirs, ministres des supplices infernaux.

« Sortons de la mosquée par la porte du Paradis, Bab el Djinné, et longeons-en les murs extérieurs en prenant à notre gauche. Devant nous, sur le parvis, s’élèvent deux Kiblet dont les coupoles sont soutenues par des colonnes de marbre blanc : le plus petit et le plus rapproché porte le nom de la fille du prophète, de Fathmah, dont les descendants régnèrent en Égypte et en Mauritanie sous la désignation générique de Fathimites ; l’autre s’appelle Kiblet el Miradj ou de l’ascension de Mohammed. Non loin de là, sur le mur extérieur à l’ouest, on montre l’endroit où fut attachée El Boraq pendant la prière que fit le père des Croyants avant de s’enlever au ciel.

« Vers la porte sud, un peu avant Bab el Kiblé, s’appuie sur le mur une belle et grande chaire en marbre blanc et noir. Jetons-y un coup d’œil, et prenons le chemin qui va nous conduire à la seconde mosquée, à El Aqsa, en passant près du bassin des ablutions, alimenté sans cesse par les vasques de Salomon et par la fontaine scellée dont les eaux y arrivent au moyen d’un aqueduc en fort mauvais état.

« La forme de la mosquée d’El Aqsa indiquerait qu’elle fut d’abord construite pour le culte chrétien, même en l’absence de la tradition qui la fait élever par les ordres de Justinien, en l’honneur de la vierge Marie consacrée, dès son enfance, au Seigneur. Elle peut se diviser en deux parties : l’église supérieure, et l’église inférieure ; nous allons commencer notre visite par cette dernière, puisque l’escalier qui y descend se présente d’abord à nous.

Ce vaste souterrain, de 62 mètres de long sur 13 de large, a un sol fort inégal, et, à son dernier tiers, considérablement surbaissé ; on n’y arrive que par un escalier de neuf marches. Une rangée de sept pilastres et de quatre colonnes sépare dans sa largeur l’église souterraine formant pour ainsi dire deux nefs ; d’ailleurs on n’aperçoit plus aucune trace de chapelle, et si ce n’était les quatre colonnes monolithes surmontées d’un chapiteau taillé en feuille de lotus que le cheik de Haram Cherif affirme avoir appartenu à une bâtisse salomonienne, on pourrait à juste titre regretter la peine que l’on s’est donnée pour la visiter.

« De retour devant El Aqsa, admirons d’abord le porche qui règne tout le long de la façade de cette splendide basilique, soutenant sur de légers faisceaux de colonnettes accouplées les ogives gracieuses qui en sup-