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Haoussa « Plût à Dieu que vous pussiez voir Kano ! » s’offrit avec joie pour accompagner le voyageur. Néanmoins son père se désola de cette résolution. Pénétrer au centre de l’Afrique, ce pays des monstres, où la faim, la soif, le vent, le soleil et la fièvre tuent ceux qu’ont épargnés les bêtes féroces et l’homme, souvent plus cruel que la brute, c’était vouloir partager le sort de Mungo-Park et de ses trente-huit compagnons ; c’était aller à la mort comme Peddie, Gray, Ritchie, Bowdich, Laing, Oudney, Clapperton, Richard Lander. Les supplications paternelles furent si pressantes, qu’Henry Barth écrivit pour se désister de sa demande ; mais il était trop tard, on avait compté sur sa parole, et il dut partir avec son compatriote Overweg[1], qui avait résolu de partager ses fatigues et ses travaux.

Ils arrivèrent à Tunis le 15 décembre 1849, ensuite à Tripoli, et, en attendant leur départ pour le centre, firent une excursion dans les montagnes qui entourent la régence ; puis ils revinrent à Tripoli, d’où ils partirent le 24 mars 1850.

Engagée dans le Fezzan, cette province tripolitaine au sol aride parsemé d’oasis, et qui n’est à vrai dire que la falaise souvent désolée d’une mer de sable où elle jette ses promontoires, l’expédition arriva le 18 avril au pied d’un plateau rocailleux, annoncé par un tas de pierres, auquel chaque pèlerin qui traverse pour la première fois ce lieu sinistre doit ajouter la sienne.

Après avoir souffert du froid, par une nuit sombre et humide, nos voyageurs atteignirent, vers le milieu du jour, le point culminant de ce terrible hammada[2] qui s’élève à 478 mètres au-dessus du niveau de la mer. Là, ils furent assaillis d’un vent furieux du nord-nord-ouest qui renversa leurs tentes, et laissa toute la caravane à découvert sous une pluie torrentielle. Le surlendemain commença la descente par un défilé rocailleux, formé d’un grès tellement noir à sa surface qu’on l’aurait pris pour du basalte, si le clivage n’en avait montré la véritable nature.

Un phénomène aussi curieux que rare dans ces contrées est la ville d’Édéri, perchée au sommet d’un groupe de rochers en forme de terrasse escarpée. Cette situation a donné à cette ville une grande importance jusqu’au jour où elle a été détruite par Abd-el-Djèlil, le terrible chef des Omlad-Sliman, qui, chassé de la régence de Tripoli en 1832 ou 33, passa comme le simoun sur toutes les oasis du Fezzan. On dit qu’il n’abattit pas moins de six mille palmiers autour d’Édéri ; c’est au milieu des débris épars de cette ancienne plantation qu’est situé le village actuel d’Édéri.

L’expédition traversa ensuite quelques oueds fertiles, séparés les uns des autres par des falaises escarpées, des nappes de sable, des bandes de terrain noir revêtu de couches salines et blanchâtres, jusqu’au moment où elle découvrit la plantation de Mourzouk, tellement éparpillée qu’on ne saurait dire avec exactitude où elle commence, où elle finit.

La capitale du Fezzan repose au fond d’un plateau entouré de dunes, à quatre cent cinquante-six mètres au-dessus du niveau de la mer. Malgré ce que la situation de Mourzouk a de pittoresque, on est frappé tout d’abord de son extrême aridité, et l’impression triste qui en résulte augmente si l’on y réside quelques jours ; ce n’est qu’à l’ombre épaisse des dattiers que la culture de quelques fruits est possible (grenades, figues et pêches) ; les légumes, y compris les oignons, y sont extrêmement rares, et le lait de chèvre est le seul que l’on y trouve.

L’enceinte de la ville n’a pas trois kilomètres ; c’est trop encore pour les 2800 âmes qu’elle renferme, ainsi que le prouve la solitude des quartiers éloignés du bazar. Une voie spacieuse, appelée dendal, qui de la porte de l’est s’étend jusqu’au château, caractérise la ville, et montre qu’elle a plus de relations avec la Nigritie qu’avec les territoires arabes.

« Mourzouk, dit le docteur Barth, n’est pas, comme Ghadamès, habitée par de riches trafiquants ; c’est moins le siége d’un commerce considérable, qu’un lieu de transit. Pour nous c’était la première station de notre voyage, et notre véritable point de départ, aussi ne demandions nous qu’à en sortir ; mais qui peut jamais quitter à son heure une ville africaine, presser des individus pour qui le temps n’existe pas ? Notre départ qui devait avoir lieu le 6 juin, fut décidé pour le 13 ; on se mit en marche effectivement le jour indiqué. Mais après avoir séjourné à Tasaoua pour s’entendre avec deux chefs des Touaregs, ces pirates voilés et silencieux du désert, il fallut retourner sur ses pas, rentrer à Mourzouk ; et c’est le 25 juin que, revenue à Tasaoua, notre petite caravane s’ébranla d’une manière définitive, franchit des montagnes de sable, et entra sur un terrain plus ferme dont les hauteurs sont couronnées de tamarix, région dont un cours d’eau violent semble avoir entraîné la portion terreuse qui réunissait les collines, à présent isolées. Nous retrouvons bientôt le sol caillouteux de l’hammada, puis la succession de vallées verdoyantes et de lieux arides qui ont précédé notre arrivée à Mourzouk.

« Nous avions atteint l’Oued-Elaven, large dépression venant du nord, lorsque nous découvrîmes, à deux cents pas de notre camp, une mare qui formait un centre de vie dans cette région solitaire ; tout un monde s’y baignait et folâtrait ; une nuée de pintades et de gangas voltigeait au-dessus de la masse animée, en attendant qu’ils pussent remplacer les baigneurs. Là, de nouvelles difficultés s’élèvent de la part des Touaregs chargés de nous conduire à Seloufiet ; nos serviteurs eux-mêmes nous disent que nous nous trompons en croyant que la route de l’Ahir nous est ouverte, et nous déclarent qu’il nous faut envoyer demander aux chefs du pays la permission d’y entrer. Bref, tout en persistant dans notre itinéraire, nous consentons à passer par Ghat, et à y rester six jours ; on nous promet en échange de partir ensuite immédiatement pour l’Asben.

« C’est en nous dirigeant vers Ghat, au moment où

  1. Prononcez Oferveg.
  2. El hammada, nom souvent employé dans le nord de l’Afrique pour désigner un plateau pierreux.