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VOYAGES ET AVENTURES DU BARON DE WOGAN

EN CALIFORNIE.
1850 — 1852. — INÉDIT.


Arrivée à San-Francisco. — Description de cette ville. — Départ pour les placers. — Le claim. — Première déception.

Dans les derniers jours de 1850, l’Isthmus, bateau à vapeur de la Compagnie Américaine sur l’océan Pacifique, débarquait sur le quai de San-Francisco une trentaine de passagers qu’il amenait de Panama. Parmi ces voyageurs que le besoin d’aventures, de spéculations ou la fièvre de l’or amenait en Californie se trouvaient quatre Français, poussés loin de leur patrie par les contrecoups des convulsions politiques. Partis de différents points du sol natal, des rangs sociaux ou des partis existants, ils s’étaient liés les uns aux autres par le contrat d’une de ces associations industrielles que faisaient éclore en ces temps agités les bouillonnements de la société européenne d’une part, et de l’autre, la réputation exagérée des mines d’or de la Californie ; il ne s’agissait de rien moins que de l’exploitation d’une machine nouvelle, qui, appliquée au lavage des terres aurifères, devait donner de merveilleux résultats, autant du moins que l’avaient annoncé beaucoup de journaux grands et petits, sur la quatrième page desquels les amateurs de collections pourraient bien trouver encore son dessin : coupe, profil et élévation.

Un des quatre associés est l’auteur des pages suivantes, extraites d’un journal tenu aussi régulièrement que les circonstances le lui ont permis et qu’il se propose de publier en entier si l’échantillon qu’il en donne aujourd’hui pouvait éveiller l’intérêt des lecteurs !

À cette époque, San-Francisco n’était pas encore la grande cité qui s’intitule pompeusement, à l’heure présente, la Reine du Pacifique. Sa population, qui dépasse aujourd’hui 100 000 âmes, atteignait a peine alors au quart de ce chiffre. Son développement rapide, incessant, est dû tout entier à la rare énergie de sa population, qui possède toutes les qualités de ses nombreux défauts. Rien n’a pu l’abattre : ni les plus graves excès, ni les désordres administratifs les plus scandaleux, ni les désastres effroyables d’immenses incendies, ni les secousses monétaires, ni les découragements, ni les paniques. San-Francisco a triomphé de tout, et ses immeubles recherchés subissent une hausse progressive qui témoigne des promesses de l’avenir. Tout y subit l’influence de l’heureuse impulsion de sa jeunesse ; tout s’y installe et prospère. On sent que les métaux précieux, l’agriculture, le commerce, l’industrie doivent faire, par leur concours intelligent, la grandeur de la Californie.

Aucune des conditions modernes de la civilisation ne manque à la métropole de ce pays. Le gaz et l’eau ont des conduits dans toutes les rues, des omnibus circulent partout, d’élégants équipages et de nombreuses voitures de place sillonnent tous les quartiers. Francs-maçons, sociétés de bienfaisance, caisses d’épargne, congrégations, sociétés bibliophiles, vastes chantiers de construction, immenses ateliers de fonderie, scieries mécaniques, télégraphie, presse, théâtres, marchés regorgeant en tout temps de légumes, de gibier, de fruits magnifiques, tout est là réuni.

L’émigration arrive de toutes parts, et s’installe à demeure dans ce pays si désert et si désolé il n’y a pas vingt ans ! Il est devenu une patrie !

Mais en 1850, la tumultueuse effervescence des éléments discordants venus de tous les points du globe pour fonder cet avenir, faisait ressembler San-Francisco à un immense creuset en ébullition, plutôt qu’au berceau d’un grand État, et après un séjour de quelques heures nous avions hâte de quitter ce théâtre de sanglantes collisions et ce foyer de toutes les mauvaises passions. Nous nous embarquâmes à bord d’un pyroscaphe qui faisait les voyages de la ville aux districts aurifères.

Après avoir traversé la rade de San-Francisco en frayant notre route au milieu des navires aux couleurs de toutes les nations, nous gagnâmes l’embouchure du Sacramento pour remonter le cours de ce fleuve.

Le paysage de ses bords nous offrit les plus riants aspects ; de chaque côté s’étendaient de verdoyantes savanes, ou de jolis bois peuplés de nombreux troupeaux de cerfs ; une suite de collines couvertes de bouquets de chênes égayait la perspective ; à l’horizon une chaîne de hautes montagnes servait de cadre au tableau.

Nous naviguions, suivant de l’œil ce panorama délicieux depuis quelques heures, lorsque nous aperçûmes à une distance d’environ un mille en avant de nous, un brick anglais de commerce qui paraissait à l’ancre ; nous hélâmes pour l’engager à nous laisser le passage libre ; il répondit avec son porte-voix en anglais : I am aground in the middle of the passage, the other part of the river being obstructed by a sand bank. (Je suis échoué au milieu du chenal et tout le reste du courant est obstrué de bancs de sable.) Ceci ne faisait pas l’affaire de notre capitaine yankee qui prit le parti de passer quand même, par-dessus le corps de l’Anglais s’il le fallait ; effectivement, à peine avait-il échangé avec nous un regard d’intelligence, qu’il commandait au chef mécanicien d’opérer un mouvement rétrograde, puis imprimant à la vapeur toute sa puissance, notre steamer s’élança dans l’espace jugé libre entre le rive et le bâtiment échoué. Le choc