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gorge ; mais nos travaux étaient en souffrance, et il fallait secouer sa léthargie.

Riverains de Tanganyika, côté ouest. — D’après Burton.

« D’après les renseignements qu’on nous avait donnés, les eaux du lac se déchargeaient au nord par le canal d’une rivière importante ; et malgré l’effroi qu’inspiraient à Kannéna lui-même les peuplades qui habitent ces parages, j’étais bien résolu à visiter cet intéressant cours d’eau. Je finis par obtenir que le chef nous permît de l’accompagner dans une croisière qu’il se disposait à entreprendre, et je lui promis une récompense considérable s’il nous conduisait jusqu’à l’issue en question ; comme gage de cette promesse, je lui jetai sur les épaules deux mètres de drap écarlate, qui firent trembler ses lèvres de joie, en dépit de ses efforts pour cacher son ravissement. J’avais loué deux canots, l’un de soixante pieds de longueur sur quatre de large, l’autre à peu près le tiers de cette dimension ; outre la somme exorbitante que j’avais déboursée pour le loyer de ces pirogues, il fallut donner au capitaine et à l’équipage, non-seulement le pain quotidien, mais quatre-vingts pièces de cotonnade, et une profusion de grains de verre bleus et de perles de porcelaine rouge, qui sont les plus estimées dans le pays. Après des querelles sans nombre, il fut décidé que nous aurions trente-trois hommes pour manœuvrer le grand canot, vingt-deux pour le second, beaucoup plus qu’il n’en fallait pour notre agrément personnel ; nous y ajoutâmes nos deux Goanais, les deux porte-fusils, et trois Béloutchis. Le 9 avril apparut Kannéna, suivi de ses gardes et de ses mariniers, accompagnés de leurs femmes et de leurs filles, dont l’infernal charivari me grince encore dans les oreilles. Les équipages avaient été réunis, payés et rationnés, mais chacun ne pensant qu’à ses propres affaires, on ne put s’entendre au sujet de la cargaison ; il fallut charger et décharger les pirogues, courir après les rameurs qui s’étaient dispersés, attendre qu’on eût fait ses adieux aux parents, aux épouses et au vin de palme, et ce ne fut que le 11, à quatre heures de l’après-midi, que les pagaies nous éloignèrent de l’île de Bangoué, où l’embarquement avait eu lieu. À peine avait-on quitté le rivage que les expérimentés déclarèrent que les canots étaient trop chargés, et nous fûmes ramenés au fond de la crique. On s’installa sur le sable ; vint une bourrasque effroyable qui renversa ma tente, sans réveiller mes Goanais, dont ma voix, jointe au bruit du vent, ne put rompre le sommeil, et je me rendormis moi-même en bénissant, sous mon enveloppe imperméable, le nom de Mackintosh.

« Le lendemain l’onde était calme, et la flottille se mit en marche à sept heures du matin. Nous côtoyons d’abord un promontoire de terre rouge, où des blocs de grès forment un immense pouddingue ; la côte s’abaisse peu à peu, est couverte de galets, puis d’un sable doré, et sur la pente qui descend au bord de l’eau apparaissent les bourgades des pêcheurs. Placés à l’embouchure des ravins qui déchirent la montagne, ces chétifs établissements sont loin d’être salubres ; la terre y est voilée d’une herbe épaisse et fétide ; ici un bourbier noir, là un ruisseau torrentiel, ou à demi desséché, traverse un groupe de six ou huit cases en forme de ruches, crasseuses et humides, dont les trois pierres du foyer, quelques nattes et des engins de pêche composent l’ameublement. On les reconnaît de loin aux palmiers et aux bananiers qui les entourent, et à de grands arbres, dont la cime étalée supporte les filets et abrite les pirogues que l’on a retirées de l’eau, par crainte de la tempête.

Riverains de Tanganyika, côté sud. — D’après Burton.

« Le 14, nous aperçûmes Ouafanya, situé à la limite méridionale de l’Ouroundi, et qui, dans cette région inhospitalière, est le seul port ouvert aux étrangers ; nous y abordâmes, on tira nos canots sur la grève, nos tentes furent plantées sous un arbre, au sommet d’un monticule, et nous fûmes aussi bien que le permettait une foule insolente et curieuse, dont les rires nous éclataient au visage. Comme tous leurs voisins, les gens d’Ouafanya sont adonnés à la boisson, et leur ivresse est querelleuse et violente ; ils ont néanmoins pour chef un nommé Kanoni qui les tient en respect, et qui au moment de notre arrivée se rendait à sa case avec une certaine pompe. Il était précédé de son étendard (une poi-