Page:Le Tour du monde - 04.djvu/101

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daient encore des ruines remarquables de leur splendeur passée ; l’emplacement des autres se révélait seulement par un amas confus de pierres amoncelées, envahies et presque cachées par une végétation parasite. Pour habitants, çà et là quelques pauvres Indiens disséminés alentour dans des cabanes, ou réfugiés dans les bâtiments des colléges. Ceux-ci prenaient soin des églises, quand elles étaient encore debout. De tous côtés la misère, la solitude, l’abandon. On pouvait suivre à leurs traces profondes les ravages de la guerre étrangère, causés par la double invasion des hordes indisciplinées d’Artigas, par celle du général Rivera en 1828 ; et les désastres plus récents, mais non moins déplorables, de la guerre civile apaisée depuis quelques mois.

Revenu de ce long voyage de privations et de fatigues, je trouvai chez M. Bonpland d’excellentes lettres du Paraguay. M. Pimenta Bueno, chargé d’affaires du Brésil à l’Assomption, auquel j’avais écrit en même temps qu’au président de la république, avait obtenu pour moi la permission refusée quelques mois auparavant à M. de Castelnau. Les instances de l’habile diplomate avaient eu raison des hésitations présidentielles, et à l’annonce de la délivrance d’un passe-port qui allait m’attendre à la frontière, il ajoutait l’offre courtoise de la plus franche hospitalité.

Le Docteur Francia. — Dessin de Bertail d’après M. Demersay.

Mes préparatifs promptement terminés sous le coup de ces heureuses nouvelles, je pris enfin congé de l’excellent homme qui m’avait si cordialement accueilli ; et suivi de quelques soldats, je traversai lestement un pays sans ressources, peuplé de maraudeurs recrutés dans les rangs d’une armée ennemie.

Le jour où j’entrai dans la Mission d’Itapua, aujourd’hui ville de l’Incarnation, les retards, les fatigues et les dangers, j’oubliai tout. Les ordres du président Lopez m’y avaient précédé, et ce ne fut pas sans un vif sentiment de satisfaction que je reçus du commandant de la place le passe-port qui m’accordait les secours en hommes et en chevaux nécessaires pour me rendre dans la capitale de la nouvelle et mystérieuse république. Ainsi s’abaissaient devant moi des barrières que j’avais redouté si longtemps de trouver infranchissables.

Bâtie sur la rive gauche du Panama, au point où ce grand fleuve, descendant du nord, tourne droit à l’ouest pour aller rejoindre le Rio-Paraguay, l’Incarnation se trouve à trois cents kilomètres en ligne droite de l’Assomption, capitale de la république.