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cilités de communication commerciale, sur des rivières navigables ou sur des points susceptibles de recevoir soit de bonnes routes, soit des chemins de fer. Jamais une ville ne s’y élève sans que les chances d’avenir n’aient été calculées. Aussitôt qu’une ville est fondée, elle s’élève comme par magie, et prospère presque infailliblement.

Au Mexique, au contraire, la richesse des métaux précieux a créé les villes à proximité des mines, quels que fussent d’ailleurs les inconvénients matériels de l’emplacement. Aussi presque toutes les villes importantes sont-elles situées loin des voies naturelles de communication et des cours d’eau, dans des gorges de montagnes ou dans de profonds ravins.

Par exception, Chihuahua, bâtie près de mines d’argent, a une position avantageuse ; c’est un point de transit par lequel s’écoule le commerce du sud au nord du Mexique ; elle possède aussi une bonne route venant de l’est, c’est-à-dire des États-Unis du nord à l’ouest vers le Pacifique.

Au pied de la ville coule la rivière de Chihuahua, qui prend sa naissance dans le Cañada del Chileote, au sud-ouest du pueblo de Chuviscar. Elle afflue près de la capitale dans une autre rivière du nom de Nombre de Dios, et se jette dans le Rio-Conchos sur un point qu’on nomme Babisas, après un parcours de vingt-neuf lieues.

Malgré cette rivière, qui fournit une eau abondante aux habitants, on a construit du temps des Espagnols des aqueducs qui alimentent la ville haute. Ces aqueducs ont une longueur de 161 533 varas[1], et comme ils s’étendent sur un terrain accidenté, ils ont dans certaines parties une hauteur de 30 mètres. Ils alimentent d’eaux limpides la ville haute ; c’est dans cette partie que se trouve la promenade publique (Alameda), plantée d’alamos (peupliers des Indes) très-touffus et offrant aux promeneurs beaucoup d’ombrage et de fraîcheur.

Le dimanche, dans l’après-midi, toute la population de la ville se donne rendez-vous à l’Alameda. Les dames riches s’y promènent dans de grandes calèches suspendues sur des courroies en cuir et qui font souvenir de celles dont on se servait en France au temps de Louis XV.

Les signoritas s’enveloppent avec beaucoup de grâce dans leur rebosso, dont elles se couvrent la tête en cachant une partie de leur visage et ne laissant voir que deux grands et beaux yeux noirs. Chez les dames riches, ce rebosso est généralement en soie noire ou blanche, brodée de dessins de couleurs vives et voyantes. Les femmes du peuple ont un rebosso en laine bleue, avec de petits carreaux blancs ; elles s’en servent de même avec grâce. Les Européennes adoptent ce costume bien vite, mais elles sont forcées de faire une étude assez longue avant d’arriver à savoir s’en parer comme les femmes du pays.

La jupe est courte ; le bas en est brodé de dessins en laine. Les femmes du peuple aiment pour la jupe le rouge voyant, et se promènent à pied.

Le goût du luxe pénètre jusque dans les classes les plus pauvres, et il n’est pas rare le dimanche de voir une Indienne avec des souliers de satin blanc, sans bas ; sa peau naturellement rouge contraste singulièrement avec la couleur de sa chaussure.

Tout homme est cavalier dans ce pays. Il faut être bien pauvre pour ne pas avoir à soi un cheval ou un mulet ; aussi les cavalcades sont-elles magnifiques, c’est à qui fera le plus de prouesses en équitation.

Le costume des hommes est plus riche et plus varié que celui des femmes. Un individu qui toute la semaine n’a pour tout vêtement qu’un calsonero blanc et le sarapé (manteau), porte le dimanche des costumes chamarrés d’argent qui lui coûtent jusqu’à six et huit cents francs. Le pantalon blanc est de rigueur ; il est recouvert d’un autre pantalon de peau, ouvert sur le côté et de haut en bas, et orné d’une rangée de boutons en argent. Une ceinture en crêpe de Chine entoure le corps ; la veste est en peau de cerf ou en velours avec broderies d’argent. Le sombrero (chapeau) est à larges bords ; il est en paille ou en feutre et décoré d’une torsade très-épaisse en velours noir ou en argent et or. Le sarapé est bariolé de couleurs tranchantes et de dessins variés. Les hommes, ainsi que les femmes, ont un talent particulier pour se draper avec grâce dans le sarapé : l’individu le plus ordinaire a l’air, sous son manteau, d’un gentilhomme.

Le coup d’œil seul de cette promenade et de ces costumes si variés me faisait oublier les ennuis du voyage, et m’a laissé un souvenir qui ne s’effacera plus.

Dans le centre de la ville, ou la ville basse, une grande place publique, connue sous le nom de place de la Constitution, sert à la promenade des soirées pendant la semaine.

Le plus bel ornement de cette place est l’église paroissiale de la capitale. Elle a été construite d’après les dessins et sous la direction de l’architecte Nava, en 1764, avec des fonds qui provenaient des mines de Santa-Eulalia : on préleva un réal par marc d’argent extrait de ces mines pendant soixante-deux ans. Cette contribution dura jusqu’en 1789 et produisit huit cent mille piastres.

Le portail donne sur la place et a un aspect noble et grand ; les deux tours ont une hauteur égale qui domine l’église de 31 varas espagnols et demi, et comme l’église s’élève à 21 varas au-dessus du niveau de la place, la hauteur totale est de 52 varas et demi. Outre les deux tours, une magnifique coupole orne le milieu du monument et donne à l’ensemble une forme gracieuse. L’intérieur se compose de trois nefs d’ordre dorique.

Du côté opposé à l’est de l’église se trouve le palais du Congrès, qui n’a qu’un rez-de-chaussée. Sa façade est ornée de colonnes. Le toit forme terrasse ; au milieu s’élève un grand mât où l’on hisse le drapeau national dans certaines circonstances. Une petite sculpture représente un soleil, pour faire allusion à la lumière qui doit éclairer les législateurs.

Une fontaine en forme de pyramide s’élève au milieu de la place.

  1. Le vara équivaut à un mètre quarante-cinq centimètres.