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portraits, et, après m’avoir donné quelques avis sur la ressemblance, il me dit qu’il fallait aussi faire le sien. Je recommençai donc mes promenades à Saint-Christophe, ce qui me valut de devenir fort en portugais, parce que je me remis à étudier en chemin, de même que je clouais et tendais ma toile toujours en habit noir.

Je fis le portrait de l’empereur en bourgeois, habit et pantalon noirs, mais ensuite je le priai de me prêter son costume de cérémonie celui qu’il ne porte que deux fois l’année, à l’ouverture et à la clôture des Chambres. Il voulut bien m’accorder cette faveur, d’autant plus grande que cette fois c’était pour moi seul que je travaillais, désirant emporter ce portrait en Europe. Des nègres du palais m’apportèrent plusieurs malles en fer-blanc, contenant le manteau de velours vert, doublé de drap d’or, la tunique en soie blanche, avec la ceinture, le sceptre, enfin tout ce qui m’était nécessaire.

J’allai immédiatement à l’Académie pour y emprunter un mannequin, ne pouvant, par convenance, mettre les habits de Sa Majesté sur le corps d’un modèle vivant. D’ailleurs, ce modèle eût été difficile à trouver : l’empereur à six pieds, moins deux lignes. Le mannequin disponible était de beaucoup trop petit ; un autre se trouvait chez un artiste, et on ne pouvait me le prêter que dans le cours de la semaine ; quant à celui-là, il remplissait toutes les conditions voulues. J’étais fort contrarié que ma démarche n’eût pas mieux réussi. J’étais inquiet d’avoir dans ma chambre des objets d’une si grande valeur. Il me passait des craintes par l’esprit.

Une lutte nocturne dans le palais de l’empereur du Brésil.

Ce jour-là précisément, je rentrai fort tard ; j’avais dîné et passé la soirée chez M. le ministre des affaires étrangères, et, par mégarde, je m’étais plusieurs fois assis sur ma clef : c’était presque toujours le présage de quelque malheur. Quand j’eus refermé avec soin la porte de la rue de la Miséricorde, je suivis et tâtons un couloir sombre et humide, et au bout je montai un escalier dérobé jusqu’à l’entrée d’un autre corridor, à l’extrémité duquel était la porte de mon appartement. Il m’était souvent arrivé de songer, en marchant dans ces ténèbres, que si quelqu’un avait voulu me faire un mauvais parti, il lui eût été facile de m’y tordre le cou. L’immense corridor où donnait la porte de mon appartement était éclairé tout à l’autre bout par une lampe dont la lumière était ce soir-là près de s’éteindre. Je me sentais le cœur serré. — Je ne vois pas ce qu’il y aurait eu d’étonnant, me disais-je, à ce que quelques malfaiteurs eussent conçu le projet de faire main basse pendant mon absence sur les costumes et les insignes impériaux, et, s’ils me rencontraient avant d’avoir dévalisé ma chambre, qui les empêcherait de se débarrasser de moi d’un bon coup de couteau ou en m’étranglant sans bruit ? — On conviendra que cette idée-là, qui n’était pas autrement extravagante, n’avait rien de très-rassurant. Je dois l’avouer, j’avais peur, ma main tremblait, je ne pouvais trouver ma serrure, ce qui ne m’était encore jamais arrivé ; tout à coup, je sentis une haleine chaude tout près de moi. Certainement il y avait là un homme. Son corps interceptait par moments la faible lumière vacillante du corridor. Il était évident que cet individu se penchait vers moi ; il cherchait l’endroit où il devait me frapper pour m’abattre d’un coup, sans que j’eusse le temps de pousser un seul cri. Dans ce moment suprême, j’eus la force de demander d’un ton qui m’effraya moi-même encore davantage : « Qui va là ? » — Ne recevant pas de réponse, j’osai répéter ma question en portugais, une belle langue ! Même silence. Il y a des moments ou une détermination est vite prise. Sûr maintenant d’être tué, je n’avais rien à ménager. Dirigeant donc mon poing fermé à la hauteur du visage de l’assassin, je l’envoyai tomber à quelques pas de moi,