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me fallut en passer par un nuage de plâtre. Mon hôte, dont l’extrême convenance ne se démentit jamais, vint m’apprendre avec empressement que MM. les marchands croyaient que j’étais un colon et qu’ils m’avaient pris pour un domestique blanc, chargé de remplacer une mulâtresse, sa cuisinière, dont il n’était pas content. Il me fut très-agréable d’apprendre ; comme on le pense bien, cette flatteuse opinion que l’on se faisait de moi.

Le lendemain de notre arrivée, on avait chargé quelques Indiens d’aller chercher nos bagages restés à Victoria. Malheureusement le vent était contraire, et les légers canots faits de troncs d’arbres ne pouvaient lutter contre sa violence. Il fallut attendre.

On sait déjà que la ville de Santa-Cruz possède la devanture d’une cathédrale. Je n’y ai pas vu d’autres monuments dignes d’être-cités, sinon une fontaine nouvellement construite. Le reste est peu de chose, de petites maisons placées sans symétrie, de l’herbe poussant partout dans ce qui pourrait s’appeler ailleurs des rues, un petit port, abrité par des brisants. Ma seule distraction était de regarder les équipages de trois navires en chargement de bois qui chantaient des airs bien monotones, soit en virant au cabestan, soit en hissant les troncs d’arbres. J’avais pris le parti de me boucher les oreilles, afin de ne pas retenir ces airs dans ma mémoire. Vaine précaution, car aujourd’hui, en écrivant ces lignes, je m’aperçois que je les chante d’inspiration. Généralement, ce sont des bois de palissandre qu’on envoie à Rio et de là en Europe. Les possesseurs de terrain, qui font le commerce, se bornent à exploiter cette espèce. On n’apporte à Santa-Cruz que les troncs coupés à la hauteur des premières branches, et là on les scie en deux avant de les embarquer.

Trois semaines se passèrent. Chaque jour, je consultais le vent : toujours le même. Enfin arriva celui dont nous avions besoin ; les canots revinrent, mais dans quel état ! Nos effets étaient détériorés et nos malles pleines d’eau, à en juger du moins par l’extérieur, car on ne se donna pas le temps de vérifier les désastres : et le jour de l’arrivée de nos bagages fut celui de notre départ. Cette fois, c’était pour longtemps.

Trois canots furent chargés de nos divers effets, parmi lesquels il fallait se caser d’une façon assez incommode, Ce que voyant, mon hôte, qui n’avait toujours que mon intérêt en vue, alla, sans me rien dire, s’installer dans un autre canot et me laissa dans le mien qui était le plus encombré. Nous remontions à force de rames la rivière de Sagnassou, où je ressentais encore l’influence de la mer ; mais le spectacle était intéressant ; des forêts de mangliers s’étendaient avec leurs myriades de racines bien avant dans l’eau.

Entrée de la rivière de Sagnassou.

Une demi-heure après le départ, des grains vinrent de quart d’heure en quart d’heure fondre sur nous avec une telle force que mon parapluie fut cassé, mes malles bousculées et le canot rempli d’eau, en sorte que si un Indien ne se fût empressé de le vider, nous eussions coulé bas inévitablement. Cet Indien n’ayant pas sous la main de vase pour cette opération, eut l’heureuse idée de se servir d’un verre, tandis que les autres poussaient à terre le canot. Nous débarquâmes heureusement, et nous attendîmes que le temps devînt meilleur. Dès que