Page:Le Tour du monde - 04.djvu/240

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Le bétel est un narcotique assez énergique. Les Annamites accroupis sur le devant de leurs portes, sur leurs tables de bois dur, ont dans leurs yeux quelque chose de la tranquillité mêlée de somnolence particulière aux ruminants. Le mouvement de leurs joues complète ce rapport d’idées. La feuille de bétel n’est qu’un des trois ingrédients : les deux autres sont la noix d’arec et la chaux ; le tout est mêlé ensemble et forme la drogue sans laquelle les Annamites prétendent qu’ils ne peuvent pas vivre. Le goût est celui d’un aromate ; on y trouve une impression de fraîcheur. L’odeur de la noix d’arec a de la ressemblance avec celle du brou de noix. Elle est meilleure quand elle est sèche et de couleur brune. Les Annamites, lorsqu’ils enlèvent la peau de la noix fraîche, ont la lenteur et la physionomie particulière aux gens qui bourrent leurs pipes, l’air de complaisance qui annonce un plaisir assuré et qu’on savoure en imagination. Quelques-uns ajoutent de la chaux vive qu’ils tirent d’un petit vase en cuivre ou en faïence. J’ignore comment leur bouche peut y résister. Un raffinement consiste à mêler une orte chique de tabac à la chique de bétel. On serait porté à croire que la coutume du bétel préserve les dents de la carie : les seuls maux de dents qu’on soit à même d’observer chez les Annamites proviennent de causes autres que la carie, telles que les fluxions ou les douleurs sympathiques.

(Correspondance privée.)