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possèdent un certain nombre et que la majeure partie, trop pauvres pour se passer le luxe d’une compagne, restent célibataires.


Aspect des pampas. Mes occupations d’esclave. — La chasse. — Le jeu et l’ivrognerie chez les Indiens de la Patagonie.

D’après le peu que je viens d’en dire on comprend que les nomades des pampas sont dignes du sol qu’ils occupent.

Rien n’est plus triste que ces vastes plaines, dont la solitude n’est animée de loin en loin que par les troupeaux des Indiens et par quelques groupes nomades de ceux-ci qu’on reconnaît de loin à leurs lances ornées de plumes de nandou. Le jour, le cri aigu de quelque oiseau de proie s’abattant sur un cadavre en putréfaction, ou bien, la nuit, les rugissements du puma et du jaguar affamés, telle est, avec les mugissements du vent, l’harmonie des pampas.

Je fus bien longtemps à me faire à la vie d’esclave. Ma position s’aggravait encore de l’impossibilité où j’étais de comprendre ce que me disaient les gens dont dépendait ma destinée, et qui me faisaient expier mon ignorance par de mauvais traitements. Je ne pouvais faire un pas sans être accompagné d’un ou plusieurs Indiens ; si je paraissais plus triste que de coutume, ils me menaçaient et de la voix et du geste, dans la pensée que je machinais une évasion ; la nuit même, ils venaient me toucher pour s’assurer de ma présence. Il arriva un moment où je dus prendre part à leurs travaux, qui consistent à monter à cheval pour surveiller le bétail, charge qui me fut donnée jusqu’à nouvel ordre. Il me fallait rester sans cesse près des animaux et les amener soir et matin en leur présence pour qu’ils en vérifiassent le nombre ; si le malheur voulait qu’il en manquât, les mauvais traitements ne se faisaient pas attendre. Lorsque je sus convenablement manier un cheval et les armes indiennes, on me fit participer aux chasses au nandou (autruche américaine) et au guanaco, exercices qui devinrent plus tard une véritable distraction pour moi.

Ivresse des fumeurs patagons.

La plus grande occupation des Indiens est la chasse ; ils s’y livrent toute l’année, mais ils y apportent plus d’ardeur aux mois d’août et de septembre, printemps de l’hémisphère sud, dans le double but de rapporter de jeunes pièces de gibier et des œufs de perdrix et d’autruches. Le gibier est destiné particulièrement aux enfants ; les œufs sont mangés en commun dans la famille ; ils les ouvrent comme on fait d’un œuf à la coque, les posent debout dans un brasier préparé avec de la fiente, et mêlent le jaune et le blanc au fur et à mesure que la cuisson s’opère. Pour chasser l’autruche et le gama, ils s’assemblent en grand nombre et s’en vont cerner un espace de deux ou trois lieues. Lorsque chacun est à son poste, à un signal donné, ils marchent tous lentement vers le centre du cercle qu’ils forment, jusqu’à ce que la distance qui les sépare les uns des autres ne soit plus que celle de sept à huit longueurs de cheval. Ils s’arrêtent alors les boules à la main. À leurs cris, les chiens qui les accompagnent s’élancent pour harceler les autruches et les gamas ainsi renfermés, lesquels, en cherchant à fuir, passent entre les courts intervalles que se sont ménagés les chasseurs afin de pouvoir leur lancer une multitude de boules qui rarement manquent leur but. Les animaux pris sont dépouillés avec une dextérité incroyable, ce qui permet aux chasseurs de continuer leur exercice jusqu’au moment où le cercle tellement rétréci mette en présence la masse des Indiens. Rarement ils reviennent près de leurs familles sans avoir pris sept à huit pièces de gibier.

Les Indiens Chéuelches, une des tribus patagones, bien que n’ayant pas à leur disposition le secours des chevaux, n’en sont pas moins d’habiles chasseurs. Ils opèrent à pied la même manœuvre que les autres.

Les hommes et les femmes d’un âge avancé sont chargés du soin de dépouiller et de transporter à dos le produit de la chasse, qui consiste en chameaux de petite taille et en gamas et autruches attrapés au lazo, ou atteints de la boule, ou bien encore de la flèche.

Chaque retour de chasse est pour les Indiens une occasion de se livrer à leurs deux passions favorites, le jeu et l’ivrognerie.