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tres colis n’offrait, comme tout le reste de la case, pour se garantir du soleil et des insectes, qu’un morceau de toile bleuâtre, en coton, accroché avec des clous. Pendant cette première nuit j’entendis des cris de tous les côtés ; plusieurs me parurent fort désagréables, surtout celui d’un oiseau dont on m’avait parlé. Cet oiseau, que les Indiens nomment saci, parce qu’il semble prononcer ces deux syllabes, est pour eux un objet de superstition ; ils pensent que c’est l’âme de quelqu’un de leurs parents. J’ai passé plus tard bien des jours à le chasser. Il se faisait entendre dans un buisson isolé. Guidé par son cri je m’avançais doucement, avec précaution, retenant mon haleine. Un instant il se taisait, et quand je faisais un pas de plus, le cri se répétait, mais derrière moi ; jamais je n’ai pu voir cet oiseau. Son cri, lorsque je l’entendis pour la première fois, m’avait si longtemps empêché de dormir, que j’en serais devenu presque enragé si je ne me fusse levé ; mais je dois dire que je fus bien récompensé du parti que j’avais pris, par le tableau qui s’offrit à mes yeux. Sous l’ombre que projetaient au loin les forêts, depuis le bas de la montagne jusqu’au sommet, des myriades de mouches lumineuses brillaient comme des étoiles. J’oubliai bien vite le saci, les cris aigus des hérons, les hurlements des chats sauvages, au spectacle de ces feux d’artifice naturels devant lesquels j’aurais volontiers passé le reste de la nuit, si des insectes de toute espèce se ruant sur mon visage ne m’eussent obligé à déguerpir et à me réfugier derrière mon rideau et ses clous.


Tribulations. — Je me fais un laboratoire et une tente. — La chasse. — Crapaud et crabe.

Le lendemain je priai mon hôte de faire débarrasser la chambre qui m’était destinée de tout ce qui l’emplissait. Il trouva que rien n’était plus juste. Mais il n’en persista pas moins à s’occuper exclusivement du soin de faire vider ses malles et d’emménager tout ce qui était à lui. Bien des jours s’écoulèrent ainsi. J’eus le temps de songer à tous les services que j’avais rendus à ce personnage pour m’assurer de ses bons procédés. Ne m’étais-je pas enhardi jusqu’à exposer et recommander ses plans de colonisation à l’empereur ? Il m’avait dissuadé d’emporter mon argent, se chargeant, me disait-il, de me défrayer de toutes choses. Il devait revenir avec moi à Rio, et alors je le rembourserais. J’étais donc à sa merci. La perspective n’était pas riante. Je voulus avoir une explication avec lui. Je me plaignis du peu d’attention qu’il prêtait à mes demandes, à mes prières. Il parut extrêmement surpris. « N’étions-nous pas convenus, me dit-il, d’agir sans façon l’un avec l’autre ? » Mais comme au sujet du sans-façon la partie entre nous n’était pas égale, je lui déclarai que j’avais envie de m’en aller. Il se récria, me fit de belles protestations, et cette fois encore je me résignai. Ma chambre fut enfin mise en état de me recevoir.

Mon hôte.

Un matin j’obtins le secours d’un ouvrier qui, armé de marteaux et de vrilles, me prêta son aide pour confectionner un tout petit laboratoire nécessaire à mes premiers essais de photographie. Si j’ai mentionné spécialement des vrilles, c’est que les bois du Brésil ne permettent pas, tant ils sont durs, aux clous seuls de les entamer. Ce qui se nomme planche au Brésil pèse autant que nos madriers en Europe. La petite pièce destinée à me servir de cabinet, d’atelier, de chambre à coucher, de laboratoire pour l’histoire naturelle, n’était éclairée que par la porte. Le toit couvert de branches de palmier, s’avançait très-loin et donnait de l’ombre plus qu’il n’en fallait, mais ce qui était à certains égards un inconvénient, était racheté par l’avantage d’arrêter un peu le soleil. Dans mon installation, les planches massives et les tonneaux vides jouaient le principal rôle. Les interstices des planches qui formaient les cloisons de mon petit cabinet de photographie furent bouchées avec du papier et du foin. Deux tonneaux me servirent de table, et j’eus pour chaise une caisse sur laquelle j’avais cloué des morceaux de latania. De ma vieille natte je me fis une porte. J’avais tout juste de quoi entrer et sortir, rien de plus. Sur toute la longueur de ma chambre je disposai en tablettes les deux plus grandes planches, et les deux plus grands tonneaux vides furent remplis de mille objets nécessaires. Tout autour du cabinet s’étalaient mes habits qui achevaient de couvrir les intervalles des planches déjà en partie masquées par du papier. Je mis alors en ordre les outils qui devaient servir à chacun des états que j’étais venu exercer dans les bois. En première ligne venaient la boîte aux couleurs, les papiers préparés, pour le dessin et destinés à composer plus tard un album ; après quoi je posai sur la