Page:Le Tour du monde - 04.djvu/288

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dent cet arc, mais il ne peut rendre l’effet de l’admirable mariage des couleurs, des briques émaillées qui ont servi à l’exécution de cette immense mosaïque. L’architecte a bien senti que toute teinte criarde, tout ornement-colifichet serait déplacé dans un édifice destiné à l’acte le plus solennel du culte musulman ; aussi n’a-t-il employé que le rouge indien, l’outremer, le vert foncé, le noir et les mille nuances des ocres jaunes et des terres d’ombre, relevées çà et là par de légères dorures, et cette charmante série d’arabesques mériterait l’honneur d’une reproduction lithochromique.

Vers le nord-est, à sept kilomètres de la ville, se trouve la mosquée de Khodja-Rebi, instituteur de l’iman Aly-Riza (voy. p. 284). Cet édifice a été construit sur le plan de la mosquée de Kadamghàh, dont tous les ornements ont été servilement imités par l’architecte ; seulement le jardin qui entoure ce temple est beaucoup plus moderne. Pendant une insurrection qui a eu lieu à Méched, vers la fin du règne de Mohammed-Ghah, les troupes campées dans l’enceinte de Khodja-Rebi ont eu la barbarie d’abattre les arbres séculaires qui y étaient plantés, et le jardin actuel ne compte qu’une dizaine d’années d’existence, Derrière cette mosquée, souvent exposée aux invasions des Turcomans, commence la steppe inculte qui s’étend dans toutes les directions autour de Méched, et il faut la traverser sur un espace de vingt à vingt-cinq kilomètres ver le nord-ouest pour arriver aux ruines de Tous, ancienne capitale du Khorassan. De tous les monuments publics qui ornaient jadis cette ville célèbre, il ne reste debout qu’une tour qui en défendait l’entrée du côté du sud et une grande mosquée cathédrale placée au centre de Tous, et dont la vaste coupole commence à se fendiller et menace ruine. Même le tombeau du poëte Firdousi, l’Homère de la Perse, n’est plus connu que par tradition, car maintenant rien ne marque l’emplacement de sa sépulture. À l’endroit où était la petite chapelle, érigée en sa mémoire et visitée encore par Fraser, j’ai trouvé un champ ensemencé de blé, mais l’indifférence de ses concitoyens à l’égard de ses cendres n’empêchera pas que ses œuvres immortelles ne durent aussi longtemps que la belle langue qu’il a su mettre au service de son génie, et les quarante mille vers harmonieux et pleins d’énergie qu’il a légués à sa patrie, entretiendront parmi les Persans le glorieux souvenir de l’époque héroïque de leur passé.

La mémoire du grand khalif Haroun-ar-Raschid est aussi attachée aux ruines de Tous. Cet illustre souverain, après avoir rempli le monde de sa renommée, après avoir vidé la coupe des jouissances et des grandeurs orientales, est venu mourir dans les solitudes du Khorassan, presque seul, et en proie à de funestes appréhensions. Sentant l’approche de la mort, l’orgueilleux khalif ne voulut pas rendre son entourage témoin d’une faiblesse tout humaine ; il se fit hisser sur un chameau richement caparaçonné qui l’emporta dans le désert ; là, il mit pied à terre, et au son monotone des grelots attachés au cou de sa monture, récita lui-même sa prière funéraire ; puis, se prosternant dans la direction de la Mecque, la face contre le sol calciné par les rayons ardents d’un soleil resplendissant, il rendit son âme altière à Dieu, terminant ainsi, dans un héroïque mystère, sa carrière glorieuse, riche en faits éclatants et en crimes atroces, empreints d’une énergie sauvage et grandiose.

N. de Khanikof.


Ruines de Tous, ancienne capitale du Khorassan. — Dessin de A. de Bar d’après une photographie de l’album de M. de Khanikof.