Page:Le Tour du monde - 04.djvu/293

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Cependant sa démarche eut bientôt pour le docteur Pfeiffer de fâcheuses conséquences. Elle lui avait attiré l’inimitié de la plupart des employés, et leur haine éclata avec tant de force, qu’il se vit obligé d’abandonner ses fonctions d’avocat ; car, loin d’être utile à ses clients, il n’aurait pu que leur nuire.

Dès lors il vit tous ses travaux et tous ses efforts entravés, et ce qu’il faisait autrefois avec zèle et avec plaisir, ne lui fut plus qu’une cause d’ennui et de contrariété. Toute son activité ne lui rapporta plus que peu ou point de profit. La position du docteur Pfeiffer et de sa femme devint ainsi de jour en jour plus critique. Le talent d’avocat lui avait valu une clientèle considérable ; mais il aimait à vivre sur un grand pied, il avait voiture et chevaux, tenait table ouverte et ne songeait pas à se préoccuper de l’avenir. Beaucoup de gens, connaissant sa générosité, l’exploitaient pour lui emprunter de l’argent. Ce fut ainsi que la dot d’Ida devint la proie d’un ami de Pfeiffer à qui l’on voulut venir en aide, et qui n’en fit pas moins faillite.

« Dieu seul sait, a écrit Ida Pfeiffer, ce que j’ai eu à souffrir pendant dix-huit ans de mariage, non par de mauvais traitements de mon mari, mais par les difficultés d’une situation des plus pénibles, par le besoin et par la gêne ! J’étais née dans une famille où il y avait de la fortune. J’avais été habituée dès mon enfance à l’aisance et au confortable, et maintenant je ne savais plus qu’à peine où poser ma tête et où prendre l’argent pour me procurer le plus strict nécessaire. Je devais m’occuper de tous les soins du ménage, je souffrais du froid et de la faim, je travaillais en secret pour un salaire, je donnais des leçons de dessin et de musique, et cependant, malgré tous mes efforts, il y avait souvent des jours où je n’avais guère autre chose que du pain sec pour le dîner de mes pauvres enfants ! »

Vue prise de la ville de Kandy, dans l’île de Ceylan. — Dessin de A. de Bar d’après l’ouvrage d’Emerson Tennent sur Ceylan.

Ida Pfeiffer eut deux fils ; plus une fille, qui ne vécut que quelques jours. L’éducation de ses enfants fut laissée presque entièrement à la mère, et comme le plus jeune montra beaucoup de goût pour la musique, elle s’attacha principalement à développer en lui ces heureuses dispositions.

Dans un voyage d’Ida Pfeiffer avec ce fils à Trieste pour lui faire prendre des bains, elle vit pour la première fois la mer. L’impression que cette vue fit sur elle fut extraordinaire. Les rêves de sa jeunesse se réveillèrent avec les images les plus imposantes de pays lointains et inconnus, pleins d’une riche et merveilleuse végétation. Elle sentit un désir invincible de voyage, et elle aurait voulu monter sur le premier vaisseau venu pour s’élancer sur l’immense et mystérieux Océan. Le sentiment seul de son devoir envers ses enfants la retint ; mais elle se trouva heureuse de quitter Trieste et de re-