Page:Le Tour du monde - 04.djvu/30

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dre, du plomb et il tua quelques oiseaux. Alors je lui proposai adroitement de rester auprès de moi et de m’accompagner dans mes courses, lui expliquant qu’une fois mon bagage porté chaque matin dans le bois, il serait libre de chasser en m’attendant. Je dois reconnaître du reste que c’était mon hôte qui m’avait suggéré cette idée d’engager, pour mon service, quelqu’un… à mes frais. J’avais suivi son conseil tout en trouvant ce procédé original de la part d’un individu qui avait beaucoup de domestiques, et pouvait, sans se gêner, m’en céder un chaque jour pour quelques heures.

L’Indien n’hésita pas et vint se mettre à ma disposition ; mais aussitôt l’Italien le fit travailler pour lui-même, en me disant que c’était un paresseux qui ne me conviendrait pas. Ainsi tout me manquait, tout m’échappait, grâce à ce sentiment d’obligeance inépuisable.

Je n’avais de ressource que la chasse, quand la pluie me permettait de sortir. En peu de temps, je devins fort habile. Ma chasse terminée, je préparais mes oiseaux, mes mammifères, mes serpents. Quant aux insectes, il eût fallu des boîtes pour les renfermer, et j’avais négligé d’en apporter, m’étant fié aux promesses que mon hôte m’avait faites à Rio. Heureusement, les boîtes à cigares n’étaient pas rares. Je sciai de petites planchettes de cactus, je les collai au fond des boîtes, et peu à peu mes collections trouvèrent à se placer. Je passai ainsi la fin de novembre et le mois de décembre dans des occupations tout autres que celles qui avaient pour moi une réelle importance.

À défaut d’Indiens, j’aurais du moins voulu faire des paysages. J’attendais le retour du beau temps avec bien de l’impatience. Provisoirement, j’avais choisi pour sujet de tableau « un naturaliste entouré du produit de ses explorations. » Aux heures favorables, j’allais au plus près choisir quelques fleurs, mes seuls modèles possibles.

Une rencontre dans la forêt.

Un soir, je revenais d’une de ces excursions, chargé de fleurs que j’avais été chercher bien loin. Je descendais dans un sentier alors changé en torrent. J’étais nu-pieds et j’avais de l’eau à mi-jambes. La nuit approchait rapidement, car dans ces contrées il n’y a pas de crépuscule ; on passe du grand jour sans transition à la nuit. Sautant pour éviter d’enfoncer au milieu des détritus de toute espèce que les eaux emportaient, je marchai sur un objet gluant et mou ! C’était un de ces énormes crapauds que les Indiens appellent sape-boï, « crapaud-bœuf ! » Familiarisé déjà avec de pareilles rencontres, je jetai sur le crapaud ma veste, puis je mis le pied par-dessus, et, malgré sa résistance, je l’attachai par les pattes de derrière. Une fois le crapaud ainsi suspendu en l’air, il me fut facile de l’apporter sans crainte d’être mordu. Les Indiens, après leur travail, se reposaient à la porte de la case. Ce fut une grande partie de plaisir pour tout le monde que ce crapaud, car une fois à terre, il s’élança sur moi pour me mordre, en ouvrant une gueule formidable et en jappant comme une hyène. J’aurais bien voulu enrichir ma collection d’un individu aussi intéressant, mais je ne savais comment m’y prendre pour le tuer sans le détériorer. Pour me tirer d’embarras, M. le feitor, qui était présent et avait pris sa part de la gaieté inspirée par les grâces de mon crapaud, trouva un moyen aussi simple que facile. Avant qu’il ne me fût possible de l’en empêcher, il brisa la tête de l’a-