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noncer à une visite projetée chez les Indiens Cherokées. Elle revint au Mississipi et arriva le 14 juillet à Saint-Louis. Elle visita près de Liban le démocrate badois Hecker, qui y a établi sa résidence.

Elle alla ensuite vers le Nord, à Saint-Paul et aux chutes de Saint-Antoine, se dirigea alors vers Chicago et arriva aux grands lacs et aux chutes du Niagara. Après une excursion dans le Canada, elle resta quelque temps à Nev-York, à Boston et ailleurs, puis elle s’embarqua, et le 21 novembre 1854, après une traversée de dix jours, elle toucha le sol d’Europe à Liverpool.

Elle rattacha à ce grand voyage autour du monde un petit voyage supplémentaire : elle alla faire une visite à son fils établi à San Miguel, dans les Açores, et ce ne fut qu’au mois de mai 1855 qu’elle revint à Vienne par Lisbonne, Southampton et Londres.

Les collections d’objets intéressants pour l’histoire naturelle et pour l’ethnographie, réunis par Ida Pfeiffer, ont passé en grande partie dans les musées britanniques et dans les cabinets impériaux de Vienne. Alexandre de Humboldt et Charles Ritter s’intéressèrent beaucoup aux travaux d’Ida Pfeiffer, et Humboldt surtout lui donna les plus grands éloges pour son ardeur et son courage. Sur la motion des deux savants, la Société de géographie de Berlin nomma Ida Pfeiffer membre honoraire, et le roi lui conféra la médaille d’or pour les arts et les sciences. Vienne a été bien moins pressée de reconnaître les mérites d’une compatriote, sans doute à cause du vieux principe qu’on n’est pas prophète dans son pays.

Le journal d’Ida Pfeiffer sur ce voyage parut à Vienne sous ce titre : Meine zweite Weltreise (Mon second voyage autour du monde), 4 vol., 1856.


Dernier voyage d’Ida Pfeiffer. — Appréciation de ses travaux et de sa personne.

Après chacun de ses premiers voyages, Ida Pfeiffer avait eu pendant quelque temps l’idée de se reposer et de ne vivre que de souvenirs. Mais après son second voyage autour du monde, dont le succès avait dépassé toute attente, elle ne songea plus du tout à prendre du repos. Tout en s’occupant de mettre en ordre ses collections et ses notes et à publier son voyage, elle forma le projet de visiter Madagascar, et les propositions mêmes d’Alexandre de Humboldt, qui lui soumettait d’autres plans de voyage, ne purent la détourner du but qu’elle s’était placé devant les yeux.

La relation que nous allons donner de son voyage à Madagascar et les confidences de son fils, M. Oscar Pfeiffer, sur les souffrances et sur la mort de sa mère, feront connaître plus en détail les destinées ultérieures d’Ida Pfeiffer. Mais avant de retracer ce dernier acte d’une vie si laborieuse et si active, nous croyons devoir peindre en quelques traits la célèbre voyageuse.

Ida Pfeiffer ne faisait en rien l’effet d’une femme extraordinaire ni d’une femme émancipée ou qui fût plus homme que femme. Au contraire, elle avait dans les pensées et dans les paroles tant de simplicité, de modestie et de naturel, que, si on ne l’avait point connue, on aurait eu de la peine à soupçonner qu’elle eût tant vu et tant appris. Il y avait dans tout son être un calme et une tranquillité qui rappelaient plutôt la ménagère uniquement occupée de son intérieur et étrangère à toute exaltation. Beaucoup de personnes aussi, trop promptes à juger Ida Pfeiffer, croyaient ne devoir attribuer son goût des voyages qu’à une curiosité excessive. Mais cette opinion est inconciliable avec un fait qui se manifeste dans tout le caractère d’Ida Pfeiffer, et qui est l’absence complète de toute curiosité banale. Autant sa vie avait été agitée, autant tout dans sa personne était mesuré et paisible. L’observateur le plus attentif n’aurait pu découvrir en elle le désir de se mettre en évidence ou de s’occuper d’objets lointains si peu connus. Sérieuse, très-réservée et avare de paroles, elle n’aurait pu offrir à un étranger qui ne l’aurait pas connue que très-peu de côtés aimables.

Mais quand on parvenait à la considérer de plus près, on voyait, en réunissant différents traits isolés, que, sous des dehors peu apparents, se cachait une femme extraordinaire. La force de la volonté et l’énergie du caractère perçaient bientôt dans certaines expressions. Qu’on y joigne un courage personnel rare chez une femme, une grande indifférence pour la douleur physique et les commodités de la vie, enfin une ardeur infatigable de contribuer au progrès des connaissances humaines, on devra convenir que ce sont là des qualités avec lesquelles ou fait quelque chose dans le monde. Ce qui rehaussait encore le prix de ces qualités, c’était l’amour d’Ida Pfeiffer pour la vérité et son respect sévère pour les principes d’honneur et de justice. Elle ne racontait jamais rien qui ne fût pas effectivement arrivé, et jamais elle n’a fait une promesse qu’elle ne l’ait tenue. C’était, dans le sens le plus étendu du mot, un noble caractère.

Il est évident que sa véracité reconnue donne un très-grand prix à ses récits, et, comme elle n’était point accessible aux préjugés, son jugement repose toujours sur une base solide et juste. Si, dans sa jeunesse, elle s’était un peu plus occupée des sciences naturelles et si elle avait eu des connaissances positives sur les objets de ces sciences, ses voyages auraient été certainement encore d’une plus grande utilité ; mais, au commencement de notre siècle, c’était une chose rare de voir les hommes en dehors de leur état, s’occuper des sciences naturelles, et a plus forte raison les femmes ! Ida sentit bien cette lacune, et, plus avancée en âge, elle songea plusieurs fois à la combler ; mais elle n’eut ni le temps ni la patience nécessaires.

Cependant il serait injuste de vouloir pour cela prétendre qu’elle n’a rendu aucun service à la science. Les hommes les plus compétents ne se sont pas rendus coupables de cette injustice. Elle a pénétré dans plusieurs contrées qui n’avaient jamais été foulées par le pied d’un Européen. Protégée par son sexe, même dans les entreprises les plus périlleuses, elle a pu s’avancer tranquil-