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cette mer que j’avais pensé trouver. Peu à peu le vent fraîchit, et vers le soir une bourrasque des tropiques, accompagnée de pluie, vint nous donner une idée de ce dont l’Amazone était capable. On s’empressa de fermer les rideaux de grosse toile qui entouraient la dunette, notre réfectoire et notre dortoir habituel, ce qui n’empêcha pas la pluie d’en faire en quelques instants une salle de bain. On tira de même deux immenses rideaux qui séparaient la dunette du reste du navire, à peu près comme un rideau de spectacle sépare le public des acteurs. La différence était qu’au lieu d’un seul, nous en avions deux se fermant au milieu, comme le corset des dames, à l’aide d’un lacet.

Bourrasque sur l’Amazone. — Un capitaine prudent.

Je m’étais blotti à l’avant, dans un petit réduit, à l’abri de l’eau. La nuit était venue tout à fait ; j’entendais les commandements du capitaine, mais je ne pouvais le voir. Ses ordres ne s’exécutaient pas facilement, tant le pont était encombré de bois pour le chauffage : nous venions récemment de faire notre provision. Le tonnerre grondait de telle sorte qu’il semblait être bien près de nous. Un éclair plus éblouissant encore que les autres illumina le pont, et je vis d’où partait la voix du capitaine. Bien abrité sur la dunette, il avait un peu desserré le lacet et avait passé sa tête couverte d’un grand chapeau qui le préservait de la pluie. De ce poste confortable il commandait la manœuvre, à peu près comme un régisseur prévient l’orchestre qu’il peut commencer l’ouverture. J’avais vu déjà bien des officiers, des généraux portant des parapluies, je ne pus qu’approuver la précaution du capitaine.

Quant à moi, j’aurais bien voulu être à sa place ; je me trouvais dans un bain de siége toutes les fois que le tangage faisait plonger l’avant dans les lames, les ouvertures pour faire écouler l’eau n’étant pas suffisantes. Quand je pus revenir à mon hamac, je le trouvai dans un triste état et tout dégouttant d’eau ; il m’était impossible de songer à m’en servir. Heureusement c’était le seul : tous les autres avaient été serrés avec soin. Personne n’avait songé au mien. Polycarpe n’avait pas paru.

Le beau temps avait remplacé l’orage ; la lune brillait ; nous avions tout près de nous, à droite, l’île de Gouroupa ; le fleuve Chingo à gauche. Nous nous étions rapprochés peu à peu du rivage. Le fleuve s’était resserré de nouveau : nous passâmes près d’une île fort petite nommée Adajouba. À notre approche, une bande de toucans, perchée au sommet d’un arbre plus élevé que les autres, s’envola en faisant grand bruit. Les plantes aquatiques s’avançaient dans l’eau ; là aussi se trouvaient ces palissades fleuries, et comme je venais d’en voir emportées par le courant, je reconnus que je m’étais trompé en les prenant pour des orchidées.

Les montagnes de la Guyane se dessinaient au loin. M. O*** me fit remarquer une terre qui n’existait pas l’an dernier. On voit très-souvent des îles formées ainsi : des arbres arrachés par les courants, trouvant des bas-fonds, des obstacles quelconques, arrêtent au passage des terres et des détritus emportés aussi, et un terrain solide s’élève en peu de temps.