Page:Le Tour du monde - 04.djvu/38

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moment vint d’achever avec le feu ce qu’avait commencé la hache. Pour cette opération on avait choisi une journée très-chaude et où soufflait un certain vent de l’est, je crois. À l’heure convenue, tous les domestiques de la case et d’autres attirés par la cachasse que l’on distribue généreusement à cette occasion, s’assemblèrent armés de torches. Je cherchai une place favorable, et je me mis en mesure de peindre. Des amas de vieux troncs d’arbres, de branches, de feuilles, desséchés par le soleil pendant six mois, s’enflammèrent de tous côtés. Les torches excitaient l’incendie dans les endroits où il n’était pas assez rapide. Ces hommes, rouges et noirs, s’agitant, courant à travers la fumée, donnaient une idée du sabbat : le feu montait en serpentant jusqu’aux cimes des arbres que n’avait point frappés la hache, et ces arbres, ainsi flamboyants, ressemblaient à des torches gigantesques. Je ne savais par où commencer, tant s’élançaient, se mêlaient et se succédaient avec impétuosité les tourbillons de fumée et de flammes… Il y eut un instant où le vent venant à changer subitement de direction, je fus enveloppé d’étincelles brûlantes. J’eus à peine le temps de me sauver avec ma boîte de couleur et mon papier, mais en abandonnant mon chapeau et mon siége de campagne… Je revins plus tard, et, cette fois, assis commodément sur une pointe de rocher, je contemplai sans péril un admirable spectacle. Plusieurs arbres étaient encore debout n’attendant que le moindre souffle de vent pour s’écrouler : le feu rongeait leur base. Je fermais à moitié les yeux en suivant les progrès lents du feu et je ne les ouvrais tout à fait que quand l’arbre perdait son point d’appui. Alors d’immenses nuages de cendres s’élevaient, le bruit de la chute se répétait au loin, et des cris perçants y répondaient ; c’étaient ceux des chats sauvages et des singes fuyant ces lieux autrefois leur domaine.


Excursion dans les forêts. — Le coati. — Dans la rivière. — Le souroucoucou.

Je fis un jour la partie de pénétrer plus avant dans l’intérieur de la forêt, du côté du Rio Doce et des Botocudos. Un jeune ingénieur chargé d’exécuter certains travaux d’arpentage voyageait avec moi. Je savais que les difficultés ne me manqueraient pas, et je pris mes précautions en conséquence. Nous marchâmes deux journées entières, toujours à travers les bois, mais dans des chemins un peu frayés. En allant de Victoria à Santa-Cruz, j’avais dû entrer souvent dans l’eau ; cette fois j’étais dans la boue. Plus d’une fois nos chevaux faillirent y rester ; ils en avaient jusqu’au ventre. Cependant plus nous avancions, plus les arbres et la végétation en général me paraissaient admirables. Nous passions dans des clairières, où chaque arbre était couvert de fleurs. De temps à autre je descendais de cheval pour tuer quelques oiseaux.

Nous couchâmes, la première nuit, dans une baraque faite à peu près comme celles des cantonniers sur nos grandes routes, et malgré les inconvénients ordinaires de pareils gîtes, j’y sommeillai agréablement au bruit d’une cascade. Le second soir nous arrivâmes dans une case appartenant à mon hôte, et où vivaient, avec Manoël le féitor, plusieurs Indiens cherchant du bois de palissandre. Ces bois, transformés en madriers, étaient traînés par des bœufs jusqu’au bord d’une petite rivière dont les eaux basses empêchaient alors les communications naturelles avec Santa-Cruz. Je me couchai sur quelques planches ; messieurs les Indiens ajoutèrent à la chaleur de l’atmosphère celle d’un feu considérable et se couchèrent tout alentour. J’étouffais et j’eus d’affreux cauchemars.

M. Biard en voyage.

Au point du jour, on partit, et l’on entra dans des bois encore plus impraticables que ceux qui étaient près de mon habitation ordinaire. Chacun de nous, armé