Page:Le Tour du monde - 04.djvu/400

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praticable lorsque j’étais forcé de renfermer les instruments de mes autres branches d’industrie.

Dans la nuit, le vent redevint favorable ; j’éveillai encore Miguel avec peine, et nous installâmes la voile, en prononçant, chacun à notre manière, le mot vamos.

Le lendemain, nous accostâmes à Obidos.

Nous attachâmes le canot près de terre à côté de plusieurs autres. J’étais indécis si je devais m’habiller et aller faire des visites, et je cherchais dans ma tête de bonnes raisons à me donner pour me dispenser de cette atroce corvée. On attendait le bateau à vapeur pour le lendemain, je n’avais pas besoin de faire de connaissances. Mais il s’agissait d’une chose bien autrement importante, de me débarrasser de mon canot puisque je ne pouvais le conduire au Pará.

Obidos.

En ce moment, une vieille mulâtresse sautant de canot en canot vint s’asseoir dans celui qui était à côté du mien et me demanda s’il était à vendre, ajoutant que dans ce cas elle irait chercher son maître pour qu’il s’entendît avec moi. Cela tombait à merveille, et je n’eus garde de manquer une pareille occasion. Effectivement, un quart d’heure après le départ de la vieille, un gros marchand portugais vint à son tour s’asseoir devant moi et me demanda le prix de mon canot, ou plutôt il m’offrit une somme telle que je n’avais à perdre que trente francs. J’acceptai bien vite ce marché très-bon pour tous deux ; car, si je me trouvais débarrassé d’un canot dont je n’aurais su que faire, de son côté mon acheteur faisait une affaire excellente ; les bois du haut Amazone sont très-estimés, et c’est probablement ce qui avait fait mettre la vieille mulâtresse en embuscade quand on m’avait aperçu de loin. Je ne conservai que ma voile destinée à envelopper les objets pour lesquels je n’avais pas de caisses…

… Quand il fallut embarquer mes deux singes sur le bateau à vapeur, ce fut très-difficile : ces malheureux sauvages, habitués aux solitudes, poussaient des cris perçants et s’accrochaient de tout côté. J’étais soufrant : on pendit de suite mon hamac, et j’y restai couché tout le temps du trajet jusqu’à Pará, où je fus retenu par la fièvre pendant plus d’un mois. Mon voyage en Brésil était terminé.

Un jour j’appris qu’il y avait au mouillage un petit navire américain chargé de caoutchouc. Je voulus profiter de l’occasion pour parcourir rapidement les États-Unis avant de rentrer en France. Je fis donc retenir mon passage, et je pris congé de mon hôte, M. Leduc et des autres Français qui m’avaient si bien accueilli. Ces messieurs m’accompagnèrent à bord du Frederico-Domingo et ne me quittèrent qu’au dernier moment.

Biard.