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connaissance des tribus. Au total, on a maintenant de bonnes notions sur le cours du fleuve au-dessus de Khartoum et sur plusieurs de ses affluents. Mais sur les sources mêmes et les territoires où elles sont situées, on n’a recueilli encore aucune information précise.

C’est vers cette dernière conquête que se sont tournés tous les efforts. Plusieurs explorateurs y aspirent en ce moment. Qui arrivera le premier au but ? Qui aura le premier la gloire de planter sur la source du grand fleuve le drapeau de l’Europe ? Ici encore la France et l’Angleterre se retrouvent en présence dans cette lutte d’honneur scientifique.

Un de nos compatriotes, jeune, instruit, plein de zèle, inconnu encore, mais brûlant de se signaler par une découverte d’éclat, reçut, il y a deux ans, la mission de remonter le Bahr-el-Abyad à la recherche des sources. C’était M. Lejean. La pensée de cette mission presque confidentielle, tant les dispositions en avaient été tenues secrètes, partait, dit-on, d’une très-haute initiative. Malheureusement ce secret même, en restreignant les informations préparatoires, a compromis le succès de l’expédition et contribué sans doute à son avortement final. Les difficultés de l’entreprise ont dépassé les forces du voyageur. M. Lejean était allé au Soudan égyptien par la mer Rouge et Souâkïn. Après avoir été retenu longtemps à Khartoum, d’où il fit une excursion au Khordofan, il put enfin, au mois de décembre dernier, s’embarquer pour remonter le fleuve. Mais il n’a pu dépasser Gondokoro. Malade, épuisé, à bout de forces et peut-être de moyens, il lui a fallu revenir à Khartoum, et de là regagner la France, où il est de retour depuis quatre mois. Sa tentative aura été sans résultat pour la solution du grand problème, mais non sans quelque fruit, nous l’espérons, pour l’étude des contrées intermédiaires. Il prépare, dit-on, une relation de ses courses dans la haute Nubie et le Soudan, qui ne petit qu’ajouter aux informations des précédents explorateurs.

La fâcheuse issue du voyage de M. Lejean ne nous enlève pas tout espoir que la France aura sa part dans la reconnaissance finale de la région des sources. Un de nos compatriotes, le docteur Peney, qui réside à Khartoum depuis quinze ans comme chef du service médical égyptien, nourrissait dès longtemps la pensée d’une exploration des régions supérieures. Parfaitement acclimaté, familiarisé avec les indigènes et avec le pays, bien préparé d’ailleurs par une sérieuse étude des conditions d’une telle entreprise, il réunissait les meilleures chances de réussite. Il obtint enfin du gouvernement du Caire, dans l’automne de 1860, l’autorisation et les moyens de tenter l’expédition. Un petit steamer, construit pour la navigation du fleuve, fut mis à sa disposition. Parti de Khartoum vers le 15 décembre, le docteur Peney était à Gondokoro au milieu de février. Une lettre reçue de lui à la date du 20 mai nous apprend qu’il avait fait une excursion d’essai aux cataractes, ou plutôt aux rapides qui ferment le fleuve à une ou deux journées plus haut, et qu’il avait reconnu qu’il lui faudrait attendre la saison des crues pour franchir cet obstacle. Il s’était avancé dans cette excursion à peu près d’un degré au sud de Gondokoro. Les rapides portent le nom de Makédo. Même à cette époque des basses eaux, la rivière, immédiatement au-dessous des rapides, a seize pieds de profondeur moyenne et une largeur de quarante-cinq mètres. Quand on a dépassé les rochers de Makédo, la rivière, d’après les informations qui furent données à M. Peney, s’étend en largeur et devient très-profonde. Tout ceci indique un courant déjà bien éloigné de ses sources. Le docteur comptait poursuivre sérieusement son voyage au sud, par delà les cataractes, au mois de juillet, temps où les eaux sont à leur point le plus haut. En attendant, il avait fait des observations propres à fixer la position de Gondokoro en longitude (détermination laissée fort incertaine par les observations antérieures), et, à la date précitée, il recueillait toutes les informations possibles sur les territoires avoisinants[1].


III

Sans être enveloppée de l’inutile mystère dont on a voulu, au début, entourer la tentative de M. Lejean, celle du docteur Peney a été préparée et conduite sans retentissement, sans emboucher d’avance les mille trompettes de la renommée. Il n’en a pas été ainsi de l’expédition anglaise en cours d’exécution. Nous lui souhaitons sincèrement, au nom de la science, tout l’éclat qui peut accompagner le succès ; mais dans tous les cas, dût-elle aussi ne pas aboutir, elle aura eu d’avance celui qu’une immense publicité peut donner à une entreprise scientifique.

Il faut convenir aussi que les préparatifs en ont été faits sur une échelle inusitée. Le lieutenant (aujourd’hui capitaine) Speke, qui en a la conduite, était, il y a trois ans, le compagnon du capitaine Burton dans l’expédition aux grands lacs de l’Afrique australe. Cette expédition de 1858 est connue par une double relation du capitaine Burton, et une excellente traduction française la rendra populaire chez nous comme elle l’est en Angleterre.

Il faut remonter jusqu’en 1848 pour trouver la première origine des explorations anglaises de l’Afrique australe, qui ont préparé et motivé l’expédition actuelle du capitaine Speke. Le révérend docteur Krapf, missionnaire anglican d’origine allemande, après avoir résidé pendant plusieurs années dans les districts méridionaux de l’Abyssinie, vint fonder, en 1844, un établissement missionnaire près de Mombaz, sur la côte de Zanguebar, à quatre degrés au sud de l’équateur. Sans être un savant ni un explorateur de profession (son caractère religieux lui imposait d’autres devoirs), c’est un homme éclairé, bon observateur, zélé pour l’avancement des découvertes géographiques, et particulièrement doué pour l’étude comparative des idiomes africains. Il eut pour compagnon de travaux dans sa mission de Rabbaï M’pia (c’est le nom de leur établissement de Mombaz) un missionnaire de la même église, le révérend Reb-

  1. Au moment de mettre sous presse, nous apprenons la mort inopinée de M. Peney, décédé à Khartoum.