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incendie possible. Chacun de nous respira, mais l’alarme avait été chaude !

Le 29, à 8 heures et demie du soir, nous passâmes la ligne ; divers mouvements inusités dans la journée m’avaient fait penser qu’on nous préparait quelque mystification peu agréable. Il n’en fut rien. On se contenta de faire une petite cotisation, et l’on but du champagne à la santé du capitaine.

1er mai. Le lever du soleil était magnifique. Le ciel, comme je l’avais déjà plusieurs fois remarqué, présentait un aspect extraordinaire. Je ne m’étais presque pas couché afin de suivre les effets des nuages, qui ne ressemblent pas à ce qu’on voit ailleurs. Souvent, au milieu d’un ciel très-pur, paraît un immense nuage opaque, presque noir. Ce fut au-dessus d’un de ces nuages effrayants que m’apparut pour la première fois la constellation de la Croix du Sud, qui n’est visible que dans l’hémisphère austral. L’étoile polaire avait disparu depuis quelques jours. Plusieurs d’entre nous ne devaient plus la revoir. Cette pensée m’avait attristé pendant toute la nuit. En voyant ces étoiles nouvelles, je sentais plus vivement la distance qui me séparait de ceux que j’avais laissés là-bas, et je me promettais bien de ne pas tarder à aller les rejoindre. Au milieu de ces réflexions et de ces projets de retour, comme je regardais fixement à l’horizon, je crus voir se former un nouveau nuage qui s’apprêtait à remplacer celui qui venait de traverser l’espace. Mais il me semblait aussi entrevoir quelques oiseaux. Mon attention redoubla. Des apparences d’arbres se détachaient du fond du ciel, pareilles à des points obscurs nageant dans l’air. Je me dressai debout, ne respirant plus. Non, je ne me trompais pas, j’avais devant moi l’Amérique ; ces points noirs étaient les cimes des palmiers, dont les troncs étaient estompés et comme effacés par la vapeur.

Port de Fernambouc.

Terre ! terre ! Et voilà que tous ces hôtes du navire, souffrants, ennuyés, fatigués, s’élancent sur le pont, réveillés et intéressés cette fois, bien mieux que par un exercice impromptu de sauvetage ! Peu à peu, les palmiers devinrent plus distincts, mais pas de montagnes, pas de second plan ; des arbres et le ciel. Une petite voile, qui avait l’air de sortir des flots, venait à nous, vent arrière. Une voile seule, et rien pour indiquer où était son point d’appui : aucun bateau. Nous cherchions à comprendre. « Ce sont des rengades, me dit un Marseillais qui habitait depuis vingt ans Buenos-Ayres. Vous allez voir comme c’est solide, sans que cela paraisse. » Effectivement, c’était solide. Une demi-douzaine de poutres, liées entre elles, formant une sorte de radeau, une espèce de banc, et au centre un trou dans lequel était planté le mât, voilà tout. Avec ces embarcations on peut chavirer, c’est vrai, mais on a toujours les pieds dans l’eau, souvent plus encore. « Savez-vous, monsieur, que ces gaillards-là, si on les payait bien, seraient capables d’aller jusqu’à Lisbonne. — Par exemple, répondis-je, cela me paraît un peu fort. Comment s’y prendraient-ils ? — Eh ! morbleu ! rien de plus simple : en côtoyant !  !  ! » Je n’en demandai pas davantage, j’étais convaincu.

Nous approchions de Fernambouc, et bientôt nous